Dans un jugement rendu mardi 26 juin par le tribunal de grande instance de Cologne, la justice allemande a considéré que la circoncision d’un enfant pour des motifs religieux constituait une blessure corporelle passible d’une condamnation en tant qu’elle modifie durablement et de manière irréparable le corps de l’enfant; et que le choix de la circoncision revient à l’enfant qui devra lui-même décider plus tard de son appartenance religieuse. Cette jurisprudence appelée à faire autorité n’est pas sans bousculer les communautés juives et musulmanes pour lesquelles la circoncision est un élément essentiel de la religion.
Le même jour, à Tokyo, la police a indiqué avoir lancé une enquête après qu’une plainte est venue dénoncer un jeune artiste japonais qui avait cuisiné et servi ses propres attributs génitaux lors d’une dégustation ayant autant pour but de pourvoir aux frais de son émasculation que d’attirer l’attention sur les minorités sexuelles au Japon. L’enquête ne débouchera a priori sur aucune poursuite, le cannibalisme n’étant pas légalement répréhensible au Japon.
Curieuse justice que celle qui sanctionne la circoncision au nom d’une croyance mais ignore le cannibalisme au nom du vide juridique. Nauséabonde justice que celle qui interdit de facto la pratique du judaïsme en Allemagne. Inégale justice que celle qui pose un statut inéquitable entre Juifs et Musulmans, les premiers étant circoncis à 8 jours et considérés comme incapables de choisir leur religion, les seconds l’étant plutôt à 8 ans et jugés pleinement lucides.
Mais si ces deux histoires ont en commun de porter en dessous de la ceinture et d’évoquer de manière différente l’ablation absolue ou relative, elles mettent surtout en exergue la culminance du droit comme ultime régulateur des rapports sociaux, dans une société caractérisée par la pluralisation de ses références morales et culturelles et par la multitude des vérités ou des divergences. Or, la perception des valeurs non plus comme des faits intangibles mais comme des constructions sociales mouvantes conduit indubitablement à individualiser la norme. Adaptée au cas par cas, cette dernière n’a plus vocation à rendre à chacun ce qui lui est dû mais ne fait qu’entériner l’évolution de la société.
Ainsi, la loi devient polysémique et le droit se déformalise, oubliant sa dimension collective. On en vient à une dictature du droit qui ne se contente pas -comme l’Etat de droit- de prélever une parcelle de souveraineté sur chaque individu au nom du bien commun mais au contraire d’en prendre sa totalité au nom de l’individualisme. Cette mécanique est d’autant moins rassurante si, comme Jean Giraudoux dans La guerre de Troie n’aura pas lieu, on voit le droit comme « la plus puissante des écoles de l’imagination » et que l’on pense que « jamais poète n’a jamais interprété la nature aussi librement qu’un juriste la réalité. »
La sanctuarisation du droit pour lui-même n’augure rien de bon. Si tel est son avenir, alors il faut s’attendre à bien plus aberrant que l’interdiction de la circoncision ou l’implicite caution apportée au cannibalisme. Car si le droit peut tout dire et tout légitimer, il anesthésiera le bon sens et concourra inéluctablement au désenchantement du monde dont parlait Max Weber.
*Photo : j.screaton
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