Organisée par le Musée d’art et d’histoire du judaïsme, l’exposition « Juifs du maroc 1934-1937 » montre des clichés réalisés par le photographe Jean Besancenot. Ces très vieilles communautés rurales parties s’établir en Israël formaient un monde archaïque aujourd’hui englouti.
À l’origine de cette exposition, il y a la rencontre à Paris, en 1985, entre une photographe, Hannah Assouline, et un artiste peintre et photographe, Jean Besancenot (1902-1992), qui lui montre une partie des 1 800 clichés réalisés à la fin des années 1930 dans le Sud marocain, une région d’où Hannah Assouline est elle-même issue. Sur la photo d’un couple de (très) jeunes mariés, elle semble reconnaître dans le visage de l’époux une forte ressemblance avec son neveu. Elle achète ce cliché et six autres qu’elle entend offrir à sa famille. Son père, Messaoud Assouline, alors rabbin d’une petite synagogue du Marais à Paris, se reconnaît dans la photo du « neveu ». Il se souvient même parfaitement des circonstances de la prise de vue : c’était en 1935, dans la bourgade d’Erfoud, il avait 13 ans. Pour les besoins du photographe, on lui fait revêtir le costume de marié (qu’il n’est pas en réalité), mais parce que la lumière décline, on le presse et c’est sans ses chaussures qu’il apparaît devant l’objectif. Agacé, et honteux plus encore, cinquante ans après il se remémore cette scène. L’humiliation d’apparaître pieds nus a été si vive que, quelques mois encore avant sa mort, il demande à sa fille si les « technologies modernes » ne permettraient pas, en retouchant la photo, de lui « mettre des chaussures ». Tel est le point de départ de cette exposition dont Hannah Assouline est co-commissaire avec l’éditeur d’art Dominique Carré, qui est à l’origine de sa rencontre avec Besancenot.
Clichés pris au Maroc en 1934-1937
Passé par l’école des Arts décoratifs, Jean Besancenot s’improvise photographe lors de plusieurs missions menées au Maroc (1934-1937). Parce qu’il s’intéresse avant tout aux costumes régionaux (ses premières publications portent sur la France), il photographie surtout des fillettes et des femmes en costumes de fête et parées de bijoux. Peu de garçons et peu de scènes de la vie quotidienne. Il ne prétend pas faire œuvre d’ethnologue, mais c’est pourtant un regard d’ethnologue de terrain (et autodidacte) qu’il pose sur ces sociétés. En photographiant ces juifs des communautés du Tafilalet, des vallées du Souss et du Drâa, ces « oubliés du temps », il s’inscrit dans le courant qui, à la suite d’Arnold Van Gennep (1873-1957), donne naissance dans la seconde moitié des années 1930 au Musée national des arts et traditions populaires (Georges-Henri Rivière, 1937) parallèlement à l’essor de l’ethnologie française incarné par Claude Lévi-Strauss et Germaine Tillion.
Ces communautés rurales du Sud marocain, qui remontent pour partie à la destruction du second Temple de Jérusalem (70 de notre ère), échappent au pouvoir central du « Makhzen » : c’est le « Bled es-Siba » (zones tribales) qui relève d’un système quasi féodal marqué par l’allégeance personnelle. Les clichés de Besancenot laissent deviner une pauvreté endémique à peine contenue par ces « petits métiers » qui permettent de survivre. Ils disent aussi l’importance de l’étude a contrario des clichés volontiers méprisants sur le judaïsme du Maghreb.
Ils éclairent aussi le fléau des mariages précoces (des fillettes de dix ans) que l’Alliance en particulier combattra contre la tradition locale et le rabbinat.
Une population ayant massivement rejoint Israël
Nombre de sujets photographiés sont morts en Israël. Pourquoi s’y sont-ils retrouvés en si grand nombre dès les années 1950 ? Leur départ n’est-il dû qu’aux « agissements de l’Agence juive » ou à la campagne de menaces menée contre la communauté juive après la guerre des Six-Jours (1967) ? En réalité, ces communautés du Sud marocain sont parties bien avant 1967. Très pieuses, d’un rigorisme absolu, imprégnées de l’idée messianique, elles ont vu dans la renaissance de l’État d’Israël sur sa terre le signe longtemps attendu de la rédemption. Alors, guidées et poussées par l’État d’Israël, qui avait en effet besoin d’immigrants, elles se sont mises en marche et elles ne l’auraient pas fait si elles ne le souhaitaient pas.
La proximité culturelle avec le monde berbère n’a pas empêché des relations souvent tendues, dans un climat de crainte sourde vis-à-vis du maître musulman, comme le rappellent tant de chroniques et de témoignages de René Caillé en 1830 à Charles de Foucauld en 1883.
Cette belle exposition, qui est à l’honneur du MAHJ, donne à voir, comme une forme de réhabilitation, un judaïsme longtemps regardé avec condescendance. Sans verser pour autant aujourd’hui dans une lecture apologétique. La vérité historique se suffit à elle-même.
« Juifs du Maroc, 1934-1937 – Photographies de Jean Besancenot »
Musée d’art et d’histoire du judaïsme, 71, rue du Temple, Paris 3e.
Jusqu’au 2 mai 2021. Entrée libre.