Déjà bien amochée par le scandale des « cols rouges » de l’hôtel Drouot, ma fierté savoyarde a pris un nouveau coup lorsque j’ai découvert que, pendant une dizaine d’années, les administrateurs judiciaires locaux avaient graissé la patte des juges chargés de prendre des décisions en matière commerciale (faillites, liquidations judiciaires, etc.). Ils obtenaient ainsi des décisions qui les arrangeaient, le plus souvent au détriment des sociétés où ils exerçaient leur mission de mandataires judiciaires.
L’affaire des juges ripoux de Haute-Savoie avait déjà eu les honneurs de la grande presse en septembre 2008, lorsque Marianne, suivie par d’autres journaux de la capitale, révélait qu’un administrateur judiciaire d’Annecy, Robert Meynet, et une juge faisaient l’objet d’une information judiciaire instruite au parquet de Lyon pour corruption active et passive.
L’affaire est toujours en cours, mais les pauvres bougres qui ont été victimes des manigances des robins (ils sont une trentaine dans la région), attendent, pour certains depuis plus de dix ans, que la justice reconsidère leur dossier à la lumière des préjudices subis par la mise en œuvre de ce système mafieux.
Ainsi, une habitante de mon village dont l’entreprise familiale avait fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire jugée par l’une des magistrates mise en cause, ne peut avoir accès au reliquat de ses biens, même après avoir remboursé toutes ses créances. Il leur faut d’abord faire reconnaître que la manière dont la faillite de l’entreprise avait été prise en main par Robert Meynet et la juge en question les a gravement lésés, et cela prend du temps, beaucoup de temps. Ce sont des gens simples, qui travaillent dur et n’ont pas les moyens matériels de mener une guerre d’usure judiciaire. Il faut s’appeler Bernard Tapie pour avoir droit à un traitement spécial dans ce genre d’histoires…
En revanche, les juges qui ont touché les bakchichs généreusement distribués par Robert Meynet s’en tirent bien, très bien même.
Ainsi, l’ex-épouse d’un homme politique important, qui vient d’être nommé au Conseil constitutionnel, avait, du temps où elle était juge à Annecy, reçu de Meynet un stylo et un sac d’une valeur à l’époque, de 6.200 francs (presque 1000 euros). Elle vient n’être nommée conseillère à la Cour de cassation et n’a aucun souci judiciaire à se faire. Les faits ont été jugés trop anciens pour justifier des poursuites. Un de ses collègues et son épouse, tous deux magistrats, ont été gratifiés d’un vélo d’une valeur de 19.950 francs pour monsieur (avec une telle machine on ne doit même plus avoir besoin de pédaler !) et d’un tableau d’une valeur de 6.200 francs pour madame. Même motif, même non punition : prescription et promotion à Lyon. Seule l’une des magistrates, qui fut, elle, promue à la cour d’appel de Douai est poursuivie pour des chèques encaissés par elle-même et son mari en temps non prescrit. En revanche, le fait que Robert Meynet ait financé son voyage de noces en Terre Sainte (un mois dans des hôtels de luxe) ne peut plus lui être reproché.
Tout cela parce que le parquet d’Annecy, saisi de ces faits par l’une des victimes de ces agissements, Fernand Vogne, a tout fait pour enterrer le dossier, jusqu’à ce qu’une plainte avec constitution de partie civile ne vienne la relancer et que la chancellerie, en 2008, se mêle de ce dossier de juges ripoux. Le ministère demande alors au procureur général de Chambéry de saisir la Cour de cassation pour demander la délocalisation du dossier, qui passe alors d’Annecy à Lyon. L’inertie corporatiste des magistrats du parquet d’Annecy a permis de sauver la mise à ceux des collègues qui auraient dû, en bonne justice, se retrouver sur le banc d’infamie. Peut-être même qu’un jour l’un ou l’une d’entre eux se retrouvera sur une liste d’Europe Ecologie aux élections, c’est très tendance en ce moment chez les magistrats.
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