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Si la Judée m’était contée…

«Judée» de Didier Ben Loulou (La Table Ronde, 2023)


Si la Judée m’était contée…
© Éditions de la Table ronde

Le photographe Didier Ben Loulou a capturé la Judée dans un recueil aux couleurs rocailleuses pour les éditions de la Table Ronde (en vente le 1er juin).


C’est toujours un plaisir d’ouvrir un livre de Didier Ben Loulou, de se griller la peau par contumace, sur cette terre nue à la végétation éparse et résistante. Avec ce photographe vivant entre Paris et Jérusalem, le voyage visuel, donc sensitif, n’est jamais anodin, jamais quelconque, toujours empreint d’une intensité mélancolique et sauvage. La Méditerranée est son royaume. De Tanger aux Cyclades, de Jaffa à Athènes, le Sud indolent et brutal rayonne sous son objectif. Je l’ai déjà dit ici, dans nos colonnes, Ben Loulou ne photographie pas pour passer le temps, pour divertir les intérieurs bourgeois, pour faire joli ou pittoresque sur une table basse, le folklorique ou le glacé, il s’en moque ; il cherche l’absolue vérité des paysages, leur inanité resplendissante, leur banalité fantomatique, en résumé, leur onde nostalgique. C’est pour ça qu’il me séduit et me happe l’esprit à chaque nouvelle parution. Il y a chez lui, une âpreté qui nous élève, sans gloriole, ni flonflons philosophiques. Son geste ressemble à une offrande sincère, sans calcul, sans préméditation, il témoigne de l’indicible. Voici sa Judée, elle déploie ses monts sableux, cette infinie variation de beige, d’ocre, de kaki et de terreux, parfois le rouge carmin apporte une note d’espoir ou d’ironie. Dès la première ligne de sa préface, il écrit : « La Judée, c’est ce désert de premier matin du monde ; ce sont les monts de Moab violets et irréels ». Tous les matins du monde sont là, devant nos yeux, quand l’humanité s’éveille, que de minuscules traces de vie se mettent en branle, ici le serpentin d’une route à la dérive ; là, le visage d’un enfant au regard songeur ; plus loin, un cheval blanc aux côtes saillantes, vigie d’un ordre immémoriel.


Dans cette Judée déserte, aux lignes de crête abandonnées, dans ce boyau du bout du monde, tout semble renaître et se figer à la fois, le ciel observe cet entrechoc émotionnel. Il n’a pas décidé de transiger, ni de juger, il laisse la nature se faire et se défaire au gré des saisons. Comme si cet horizon était une nouvelle page blanche à fouler et pourtant, nous savons intimement que ce massif recèle mille histoires, mille cahotements, mille miracles, mille berceaux. Alors, on se laisse porter par le regard de Ben Loulou, sans lui, nous serions passés à côté de l’essentiel, du friable et du végétal, de cette minéralité qui s’infiltre dans les ruines de l’âme, de toutes les odeurs que l’on subodore. D’abord, nous avançons sous des nuages mousseux, d’un bleu nuit, à la limite du caprice ou de l’esclandre. Et puis, nos pas s’accrochent dans la poussière de ces chemins d’errance, le sol est abrasif, les murs en pierre sèche protègent à peine du climat, ce paysage dessine un tricot de vannerie. Un paillis de tiges entremêlées. Loin d’une modernité vaine et étouffante. Le vent se lève soudain. Il peut être ici tempétueux et vengeur. La Bible y puise ses racines. Les herbes folles s’ébrouent, les chardons bleus se dressent en signe de rébellion, les tiges d’avoine voltigent dans les airs, un feu s’active et noircit l’atmosphère. Les cyprès ne plient pas sous la contrainte. La montagne et le vide s’élancent dans un combat de géants. Cervantès aurait pu poser son écritoire sur cette lande qui semble virginale. Où sont les êtres ? Où sont les sucs ? Ils éclatent à la dérobée d’une grenade juteuse. Comme un pied de nez aux hivers neigeux. L’on aperçoit tel un mirage, un berger en survêtement, immobile et hiératique, avec son troupeau. Sa silhouette se découpe en ombre chinoise dans le pâturage. Est-il réel ou non ? A-t-il trente ans ou dix-mille ans ? Une cow-girl semble s’être échappée du Colorado, comment est-elle arrivée jusqu’ici ? Les oiseaux sont porteurs de messages célestes, on ne les emprisonne pas. Les rides des vieillards se déchiffrent comme des parchemins. On tente de les interpréter. Nous sommes ailleurs et cependant, on communie avec une forme d’innocence qui nous est naturelle. Innée. Nous ne savions pas que nous avions en nous, ces pulsations, ces rythmes lents et entêtants. Et puis, l’on referme ce beau livre, et nous avons du sel sur les lèvres. C’est ça la magie Ben Loulou.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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