Didier Lallement. Un homme, une casquette de préfet de police de Paris immédiatement reconnaissable. D’une apparence froide et rigide, ce haut-fonctionnaire au physique leptomorphique a souvent été moqué pour ses déclarations dures, intempestives, ou encore ses références appuyées à la répression des Communards. Voilà qu’il souhaite désormais ses vœux en citant… Léon Trotski.
Et pas n’importe lequel Trostki : celui des trains de la mort et des décimations, celui de 1918 qui faisait passer Joseph Staline pour un modéré. Quelle mouche pique donc nos élites ?
Sommée de répondre en sa qualité de ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, Marlène Schiappa a défendu Lallement. « Trotski a écrit beaucoup de choses qui sont très inspirantes », dit-elle face aux caméras de BFM TV. Oui, Trostki comme Lénine ont écrit des « choses très inspirantes ». Marlène Schiappa aussi d’ailleurs, ses romans d’amour érotiques étant du plus haut comique. Vive la France, dirait Amaury en voyant sa créatrice danser entre le trotskisme et l’ordre républicain à la manière dix-neuvièmiste bourgeoise. Amaury, personnage né de la plume de madame Schiappa sous le pseudonyme de Marie Minelli dans le roman Sexe, mensonges et banlieues chaudes au style à mi-chemin entre Jean-Marie Bigard et le Marquis de Sade :
« « Bouffe-moi la chatte, Amaury! »
Il s’exécute, ajoutant de la vigueur à ses mouvements de tête. Ses cheveux me chatouillent délicieusement le ventre, et comme il lèche un côté de mon sexe, je lui lance:
« Applique-toi, bordel! Au centre ! Sans déborder! »
Il lève un œil interrogateur, puis fait, la bouche pleine: « Oui, Maîtresse. »
On aimerait que le préfet Lallement soit aussi prolixe sur les « banlieues chaudes ». Lui semble diriger son courroux sur les inconscients qui bravent le couvre-feu ou les gilets jaunes du début. Face aux casseurs – parfois trotskistes mais le plus souvent anarchistes-libertaires ou simples hooligans -, il ne fait pas montre de la même fermeté que le révolutionnaire russe qu’il a cru malin de citer dans ses vœux officiels. « Je suis profondément convaincu, et les corbeaux auront beau croasser, que nous créerons par nos efforts communs l’ordre nécessaire. Sachez seulement et souvenez-vous bien que, sans cela, la faillite et le naufrage sont inévitables »… Ah ça, c’est quelque chose de très inspirant.
On se demande d’ailleurs pourquoi le préfet Lallement et les autres sont incapables de mettre de l’ordre en France ou à Paris. Ses efforts depuis au moins deux ans semblent vains, les manifestants ayant bloqué Paris presque tous les week-ends durant la période. Était-il nécessaire de mettre de l’huile sur le feu en citant Trotski dans une lettre de la Préfecture de police de Paris ? N’est-ce pas une ignoble provocation ? Didier Lallement voulait-il par là rappeler son passé au Ceres, un ancien courant du Parti socialiste lié à Jean-Pierre Chevènement dans lequel de nombreux anciens trotskistes étaient particulièrement actifs ?
On ne peut pas tout se permettre quand on occupe une telle fonction. On ne peut pas blaguer en citant le boucher Trotski qui a réprimé dans le sang les Ukrainiens, très loin de l’image gentillette brodée par ses suiveurs occidentaux après la Seconde Guerre mondiale. Juan Branco, ennemi autoproclamé de Lallement venu des beaux-quartiers de la capitale a lui aussi fait sourire, quand se justifiant sur ses années de cavalier « semi-professionnel », il n’a rien trouvé de mieux à dire que l’équitation était autrefois (il y a 10 ans, hein), une « discipline de pauvres » depuis pourrie par le dopage et le fric. Ces Trotskistes 2.0 sont à peu près aussi ridicules que leurs devanciers, aussi infatués et à côté de la plaque que le jeune Moscovici de la fin des années 1970 depuis devenu libéral-fédéraliste – au moins a-t-il conservé l’internationalisme !
On se prendrait même à rêver que le véritable Trotski, stratège impitoyable, ne se réveille pour les poursuivre de son courroux vengeur et expurger le parti de ces mauvais littérateurs. Avec leurs tweets ou leurs communiqués disruptifs, ils ne sont que les idiots utiles de la grande bourgeoisie mondialisée, n’en déplaise au révolutionnaire de bac à sable Branco !
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !