Les médias ont raconté les péripéties rocambolesques au Sénégal et en Mauritanie de l’avocat et militant d’extrême-gauche. S’agit-il encore de mises en scène histrioniques pour attirer l’attention générale ou Branco a-t-il cette fois un objectif sérieux et légitime ? Selon les avocats français qui assurent sa défense et qu’on ne peut pas taxer de progressisme politique, sa cause est juste : c’est le gouvernement sénégalais qui a tort.
Parce que Ousmane Sonko incarnait l’espoir au Sénégal d’une révolution populaire contre un pouvoir corrompu et parce que Juan Branco s’était jeté corps et âme dans sa défense devant les tribunaux, ces deux personnages sont devenus courant juillet les ennemis publics numéro 1 pour Macky Sall, le président sénégalais. Sonko est emprisonné le 28 juillet à Dakar et Branco le 5 août. Sa dernière apparition publique remontait au 30 juillet et commençait par ces mots : « Nous sommes venus vous dire que nous n’avions pas peur ». Samedi soir, Branco déguisé en marin est arrêté sur une pirogue en Mauritanie et, sur nos téléviseurs de vacances, ressurgit l’Histoire, avec une majuscule, comme la bande-son d’un film difficilement compréhensible.
De l’étranger où je me trouve, j’appelle immédiatement dans la nuit son avocat Robin Binsard. Branco est captif à la frontière mauritanienne et, s’il est extradé au Sénégal, il y risque la perpétuité. Dimanche matin, la nouvelle tombe : le Sénégal obtient l’extradition, Branco est écroué à Dakar. Un communiqué sort dans la presse rédigé par quatre grands avocats : Robin Binsard, Alexandre Ursulet, Luc Brossolette et François Gibault.
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Cela faisait des années que François Gibault n’avait plus fait apparaître son nom dans un dossier international brûlant. À 91 ans, celui que son poulain Charles Consigny avait surnommé le Commandeur, n’avait gardé que deux seuls clients à son cabinet : Louis-Ferdinand Céline – dont il est l’ayant droit ainsi que le biographe – et Jean Dubuffet – dont il préside la fondation. Ce sont, paraît-il, des clients compliqués. Les journaux ne parlaient plus d’ailleurs de Maître François Gibault, mais de François Gibault tout court. Si, quand on a 20 ans, le succès est d’avoir un titre, à 90, la gloire est d’avoir un nom. Gibault avait même écrit ses mémoires, en deux volumes, et avait nommé le second Libera Me, Suite et Fin. Si le ténor du barreau raye le mot « fin », reprend son titre et sort de sa réserve, c’est qu’il y a une raison grave, et que c’est le statut même de l’avocat dans le monde qui est en danger : Juan Branco a été arrêté et emprisonné au Sénégal. Et ce, uniquement parce qu’il exerçait son métier.
L’on peut penser ce qu’on veut politiquement de Juan Branco et je ne suis pas sûr que Gibault, qui se dit anarchiste de droite et vit toujours dans l’hôtel particulier de la rue Monsieur où il est né, soit un grand adepte de La France Insoumise. L’on peut également penser ce qu’on veut de son client, l’opposant sénégalais, Ousmane Sonko, de son souhait légitime de renverser un pouvoir corrompu comme de ses accointances réelles avec les salafistes. L’on peut même penser que, comme celle du général Alcazar dans Tintin et les Picaros, la révolution d’Ousmane Sonko n’est qu’un mirage et que les révolutionnaires d’aujourd’hui sont les dictateurs de demain. Là n’est pas la question. Juan Branco n’est pas allé au Sénégal en tant qu’opposant politique : il y est allé en tant qu’avocat, pour prouver au monde qu’un avocat devrait pouvoir exercer son métier, quelles que soient les circonstances. Ce n’est pas simplement sur le dos de Juan Branco que le Sénégal écrit une page sombre de l’Histoire, mais sur le dos même de la robe d’avocat dans le monde.
Les médias qui aiment d’habitude tant parler du moindre otage font peu de cas de Branco : il est aussi peu récupérable par le système que par les anti-systèmes. Il passe à gauche pour le gauchiste préféré de l’extrême-droite et à droite pour un révolutionnaire inquiétant. Les marxistes lui pardonnent mal d’avoir fait ses classes à l’École Alsacienne avec Gabriel Attal tandis que les Gilets Jaunes comprennent difficilement son pamphlet contre Hanouna – qui leur a tant donné la parole.
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Un journal avait un jour écrit qu’il était l’ange noir de Saint-Germain-des-Prés, je garde pour ma part en tête l’image d’un jeune homme au cœur impatient, extrême en toute chose, et qui n’a sans doute qu’un pied sur terre, l’autre étant une botte de sept lieux. Et sur cette image se superpose la vision d’une geôle de Dakar avec dix personnes – selon nos informations – entassées dans sa cellule. Lundi matin, je téléphone à François Gibault. Celui qui a été le mentor de beaucoup de jeunes avocats et qui longtemps plaida aux côtés de légendes comme Jean-Louis Tixier-Vignancourt ou Jacques Vergès, me parle de Branco sur un ton paternel : «J’ai vu un garçon généreux et courageux. Son combat dans cette affaire au Sénégal est tout à fait légitime : Ousmane Sonko – qui est l’opposant numéro 1 au régime – est un vrai démocrate, qui sera candidat en février prochain s’il est libéré. J’ai eu Sonko au téléphone avec Juan récemment, on a pu converser avec lui. Ce dont je suis sûr, c’est que le régime actuel ne respecte pas certains principes fondamentaux, en premier lieu la liberté. Or je suis avocat, et je suis connu comme étant le champion de la liberté. Il est donc naturel que j’apparaisse pour le défendre ». Seulement deux heures après, Branco est libéré, et la liberté a gagné : « La liberté première d’un homme est celle d’être défendu par qui il veut, et en mettant Juan en prison, le Sénégal privait Sonko de sa défense ».
Certes, Juan Branco parait souvent comme un histrion et un exalté, mais Gibault est un samouraï, et son témoignage nous force à considérer que, au moins ici, Branco soit du bon côté. Le drame de ceux qui font de leur vie un spectacle permanent est que, quand il leur arrive de jouer un rôle authentique, le public croit encore que c’est une représentation. Branco étant aujourd’hui libre, la «défense de la défense » – selon les mots de Maître Binsard – a gagné une partie. Ce qui reste véritablement en jeu maintenant, c’est le destin des Sénégalais.
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