« Joyeuses Pâques », la célèbre pièce écrite par Jean Poiret, est reprise au Théâtre Marigny dans une mise en scène de et avec Nicolas Briançon.
J’en ai assez d’assister à des joutes télévisuelles où l’on se renvoie mollement la balle. Arguments glaiseux contre charisme en cellophane. Marre de tous ces besogneux satisfaits d’eux-mêmes qui occupent l’antenne du soir au matin, dont la partition est rédigée par des technocrates en vacances de l’esprit.
Tout le monde n’a pas la chance d’avoir à disposition un texte écrit par Jean Poiret (1926-1992) pour briller en société ou sur un plateau, séduire un hémicycle ou amuser son auditoire, suspendre le temps et cabotiner jusqu’à plus soif sur une scène parisienne.
Alors, il est temps de retourner au théâtre et d’éteindre votre poste durant les vacances d’hiver. À Marigny depuis une semaine, Nicolas Briançon reprend « Joyeuses Pâques » jusqu’au 30 avril avec une troupe de professionnels, c’est-à-dire d’acteurs (Claire Nadeau, Muriel Combeau, Pascal Elso, Raphaël Duléry) qui jouent la pièce avec l’intention initiale de l’auteur. Du rythme ! Du rythme ! Et encore du rythme ! Briançon est un derviche-tourneur qui s’épuise à merveille dans la dialectique du mensonge. Il s’enferre, il s’enfonce, il creuse sans cesse son puit dans une argutie vaseuse, il nous régale par son affolement et sa science du placement. Et surtout, quelle générosité avec ses partenaires ! Il ne phagocyte pas leur talent par une présence despotique.
L’adultère est une affaire délicate
Dans le boulevard, on sait que la vedette a tendance à vampiriser son environnement proche. Briançon est un gentleman qui ne gâche pas les effets comiques des autres comédiens par des pitreries et des tirages intempestifs de la couverture à soi. Il ne vient couper ni leur respiration, ni briser leur silence. L’histoire de cette pièce créée en 1980 par et avec Jean Poiret dans le rôle-titre, accompagné de Maria Pacôme et de Nicole Calfan, sur une mise en scène de Pierre Mondy, est aussi connue que celle du Débarquement de Normandie. Elle fut même adaptée au cinéma avec le trio Belmondo-Marie Laforêt-Sophie Marceau pour un résultat poussif et sans charme si ce n’était la présence de Rosy Varte.
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Lors du long week-end de Pâques, Stéphane, le héros sémillant interprété par Nicolas Briançon, croyant avoir déposé son épouse Sophie (Gwendoline Hamon) à l’aéroport, et s’estimant libre de ses mouvements nocturnes, ramène dans son appartement Julie (Alice Dufour), une jeune et désirable femme de vingt/trente ans sa cadette afin de vérifier si son sex-appeal opère toujours en milieu urbain. Mais, l’adultère est une affaire délicate qui demande du sang-froid et de la méthode. Stéphane en manque cruellement, il est néophyte en la matière, il compense son amateurisme par une propension à mentir, à s’énerver, à feindre l’apoplexie et à s’enkyster dans des explications de plus en plus incohérentes, donc terriblement réjouissantes pour le public. Sa perdition est un régal d’errances verbales et de duperies conjugales. Briançon affûté a suivi un entraînement intensif pour supporter de telles fréquences cardiaques. En son temps, Poiret avait tenu 450 représentations, soit près de deux années, puis il avait laissé sa place à Pierre Mondy, tellement il était lessivé par ce rôle énergivore. En 2023, on pourrait croire qu’une pièce genrée sur des rapports hommes-femmes serait complètement démodée et perçue comme le témoignage d’un classicisme douteux et d’une époque à abattre. La pertinence de son ton, l’arabesque des répliques qui s’enchevêtrent, la maïeutique de l’escalade en font un modèle du genre. Oui, en 2023, on peut rire de la crise de la cinquantaine, du démon de midi et des lois inhérentes au mariage.
Le couple, éternel sujet
Les hommes s’y révèlent lâches et fascinants d’imagination, les femmes corrosives et amoureuses, le couple, un sujet de débat ou de chaos éternel. « Lorsque le rideau s’ouvre, l’action est déjà commencée depuis cinq heures (comme dans Corneille, on arrive juste au bon moment !). Nous sommes dans la nuit du vendredi au samedi saint. Il est 1 heure du matin », voilà comment Jean Poiret présentait le décor.
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Un homme malhabile et portant encore beau face à une jeune à la puissance érotique certaine sans domicile fixe. Là, dans un salon faiblement éclairé, à l’affleurement du désir, l’épouse sûre de son bon droit débarque, entre en piste dans ce manège infernal. Les nerfs de son mari résisteront-ils à ses assauts ? Gwendoline Hamon est une Cassandre sublime d’aplomb, vipérine et drôle à la fois, de ces bourgeoises meurtries qui ne s’en laissent pas conter. Quant à Alice Dufour, elle fait oublier son corps de gymnaste affermie par une puissance faussement candide, elle possède l’art du divertissement avec cette pointe d’émotion qu’il faut pour durer dans ce métier. Dominique Frot est une bonne burlesque, monty-pythonesque à souhait.
Courez-y ! Mon rêve serait que Nicolas Briançon monte la saison prochaine « L’Habit vert » de Robert de Flers et Gaston Arman de Caillavet avec Gérald Sibleyras.
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