« Un premier bilan très positif » : comme à chaque fois que la mairie de Paris invente une nouvelle mesure pour brimer les automobilistes et faire le bonheur des citadins à coups d’arrêtés et de contraventions, la propagande municipale a salué la réussite de l’opération sur le mode performatif et autoréférentiel qui est le sien. La « journée sans ma voiture » (on notera le possessif infantilisant), lubie adoptée par la mairie pour faire plaisir à une association copine, a donc été un succès puisqu’il y avait beaucoup moins de voitures que d’habitude (moins 56 % par rapport à un dimanche normal).
Bien sûr, cela n’a rien à voir avec le fait que le montant des amendes encourues avait été claironné par tous les médias. La plupart des Parisiens et des banlieusards qui auraient pu vouloir se promener ou vaquer ce dimanche s’étant conformés à l’édit de madame Hidalgo (soit en prenant le métro, soit, ce qui a été le cas de beaucoup, en renonçant à leur sortie), cette obéissance ronchonne à une règle qui n’a pas souffert la moindre discussion aura valeur d’adhésion enthousiaste. Vieille histoire : c’est toujours en ripolinant le réel à leur guise que gouvernent les tyrans.
Le peuple oui, mais pas trop près
Certes Anne Hidalgo est un tyranneau d’opérette (si elle préfère tyranelle, je cède !). Quoi qu’il en soit, elle ne peut pas faire embastiller ou exécuter ceux qui lui déplaisent, c’est-à-dire tous ceux qui la critiquent ou qui n’approuvent pas sa volonté déterminée de disneylandiser notre ville et d’en faire une vitrine du festivisme planétaire. Mais elle peut leur pourrir la vie, à ces résidus du vieux monde. Elle ne s’en prive pas et cache à peine y trouver un plaisir particulier. C’est marrant d’ailleurs, tous ces gens de gauche si soucieux de leur prochain que cela ne gêne nullement d’empêcher tout un quartier de dormir. Si vous n’aimez pas faire la fête tant pis pour vous, c’est à peu près l’unique argument qu’ils parviennent à articuler entre deux ricanements. Avoir une autre idée de la fête que celle d’une foule bruyante, grégaire et généralement alcoolisée vous désigne évidemment comme un triste sire, réactionnaire de surcroît, en particulier aux yeux des gens qui ne se mêleraient pour rien au monde à cette foule parce que, en tant qu’organisateurs de ces joyeusetés, ils disposent de backstages et autres privilèges VIP. Ce n’est pas parce qu’on aime le peuple qu’on va se mêler à la plèbe.
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Mais revenons à ma journée sans ta bagnole. Pour ajouter au caractère orwellien du discours d’approbation qu’il espère transformer en vérité, le site paris.fr propose également un diaporama où l’on voit des escouades de vélos, dont certains judicieusement déguisés en voitures grâce à quelques cartons, se tirant la bourre sous la pluie et disputant la chaussée à un ballet de taxis et de véhicules noirs façon Uber. Sur les photos, on distingue mal, malheureusement, l’air pétri de bonne conscience et d’autosatisfaction victorieuse qu’arboraient beaucoup de ces humains à roues. Il semble que, chez eux aussi, le ravissement venait moins du fait de pouvoir donner libre cours à leur passion du deux roues que du plaisir d’emmerder leurs contemporains. Leur supériorité morale et écologique n’a-t-elle pas reçu récemment l’onction municipale avec la promesse de la maire de rendre aux piétons et surtout aux cyclistes les rues qui leur avaient été indûment volées par ces salauds d’automobilistes – promesse qui s’est pour l’instant traduite par une zone de quasi guerre automobile rue de Rivoli où bus, camions et voitures se traînent sur deux files à côté d’une tranchée où les travaux n’ont pratiquement pas commencé, tandis que les malheureux commerçants isolés sur un coin de trottoir voient les affaires péricliter.
Vieux et pauvres en captivité
Peu importe, si c’est le prix à payer pour rendre la ville plus « apaisée, plus calme et moins polluée », le tout en nous formant aux mobilités douces – car le maire, qui ne manque jamais de rappeler ses visées pédagogiques, se propose ouvertement de changer nos mentalités, autrement dit de nous rééduquer pour nous faire abandonner nos vieilles manières, en particulier notre déplorable usage de l’auto.
L’ennui, c’est que le joli Paris plein de roulettes et de convivialité qu’on vous a doré sur tranche (quoi qu’un peu moins que prévu à cause d’une actualité moins festive) était à bien des égards une ville-Potemkine. On a bien sûr oublié de vous montrer les inextricables nœuds créés aux portes de Paris – une de mes amis ayant décidé de quitter sa banlieue ouest pour visiter sa vieille mère dans le XIXe arrondissement croyait laisser sa voiture porte de la Villette et profiter elle aussi des mobilités douces, en clair marcher. Après deux heures de sur-place à la sortie du périphérique, elle a rebroussé chemin – sans voir sa mère. Madame Hidalgo lui doit cinq heures de sa vie qui vaut bien celle d’un nigaud à roulettes.
On a aussi oublié de vous montrer tous les vieux et tous les malades que leur famille n’a pu aller chercher pour aller faire un tour ou pour le déjeuner dominical. Ceux qui avaient prévu d’apporter l’armoire normande à leur fils étudiant. Les cons, ils n’avaient qu’à prendre des Uber, comme tout le monde. Significativement, la mairie n’a pas offert la gratuité des transports publics ce jour-là, ce qu’elle fait pour n’importe quelle « nuit blanche ». Une façon de dire que les pauvres aussi n’avaient qu’à rester chez eux.
Vivement Paris 2020 !
En réalité, il y avait dans ce Paris sans leur voiture comme un fantasme réalisé : la ville dont rêvent Hidalgo et la cohorte de yuppies post-modernes convaincus d’incarner le Bien qui la vénère n’est pas seulement une ville délivrée de la voiture (et où l’on cultive des tomates, va à la plage et apprend à vivre-ensemble), mais une ville sans vieux, sans pauvres et sans ronchons. On aimerait savoir ce que pensent les octogénaires de la propagande frénétique en faveur de la bicyclette. Devront-ils s’exiler s’ils ne sont pas assez en forme pour faire du vélo ? Il est vrai qu’à défaut de rouler, ils votent. Les conseillers de madame le maire brandissent des sondages de satisfaction mirifiques et, lorsqu’une contestation apparaît, ils la balayent en disant que ce sont toujours les mécontents qui s’expriment (!). Ils feraient mieux d’aller dans les bistrots.
Chers lecteurs, je fais le pari qu’Anne Hidalgo sera sèchement congédiée en 2020 – ou alors je ne fais plus confiance aux Parisiens de mon pays. Vu le joli job qui doit déjà l’attendre à Paris 2024, cela doit lui faire une belle jambe. Au moins aurons-nous un espoir de recouvrer ce droit fondamental qu’est celui de pouvoir circuler dans nos villes.