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Journée contre l’homophobie dans le foot: une fausse bonne idée

"La prétention à faire régner le bien entraîne irrémédiablement le besoin de débusquer le mal et si possible publiquement..."


Pour la 3e saison consécutive, la Ligue de football professionnelle a souhaité participer à la journée mondiale de lutte contre l’homophobie, le 17 mai, en imposant brassard ou flocage de maillots aux couleurs de l’arc-en-ciel. Si la démarche initiale part d’une louable intention, on a finalement assisté à une nouvelle manifestation du puritanisme woke, par la recherche obsessionnelle de la vertu et l’intimidation des opposants.


L’opération qui avait pour ambition de délivrer un « message de diversité, d’espoir et d’amour » a été accompagnée, comme attendu, d’innombrables polémiques de joueurs refusant, pour des considérations qui leur sont propres, de revêtir la tenue exigée.

L’initiative, aussi louable soit-elle, ne parvient donc pas à satisfaire les promesses de concorde et d’apaisement qu’elle est censée apporter. Bien au contraire, elle est intrinsèquement clivante car elle repose sur deux ambiguïtés. La première est celle d’un message qui se prétend universel mais qui se révèle militant. La seconde est celle d’une méthode qui relève non du droit mais de la posture morale.

Pédagogisme ou militantisme?

L’époque est à l’hétérogénéisation des sociétés, au dépassement historique de l’idée de nation, à la victoire du marché sur l’intérêt général et à la protection de chacun au détriment de tous. Quand plus grand-chose ne nous fédère, notre société ne sait plus quoi faire d’autre que célébrer des diversités.

De prime abord, par la simplicité de son énoncé, l’idée de lutter contre les discriminations est très séduisante. Par la réalité des souffrances vécues par certains footballeurs, elle apparaît fort utile. En revanche, par sa mise en œuvre, elle ne sert que des intérêts catégoriels et, sous couvert d’une entreprise qui se veut vertueuse, véhicule un message militant.

Une campagne parrainée par SOS Homophobie ne saurait être considérée comme étant dénuée de toute portée politique. Particulièrement avant-gardiste dans ses revendications (remplacer « sexe » par « genre » sur les documents officiels, principe d’autodétermination, y compris pour les mineurs, légalisation de la GPA, système de filiation déclaratif), l’association porte un message politique clair dont la désapprobation ne mérite pas nécessairement que soit jeté l’anathème sur toute pensée divergente. L’homosexualité n’est pas simplement considérée comme un état respectable, lié à l’intimité de chacun, mais bel et bien comme une lutte politique. En imposant des couleurs, des brassards et des slogans particulièrement identifiés, on favorise l’adhésion à un mode de pensée, celui qui consiste à envisager la société comme étant par nature patriarcale, oppressante, fondée sur une discrimination systémique où la personne homosexuelle est par essence une victime. Il en résulte une vision de la société qui amène à considérer que les homosexuels forment une communauté spécifique ayant légitimement droit à un statut particulier et à des revendications singulières.

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En République, cela pose question, car l’aspiration est à l’égalité et non à la différenciation. C’est pour cela, par exemple, que l’on préfère parler de « mariage pour tous » et non de « mariage gay ». À l’inverse, la tendance au communautarisme est de nature à porter atteinte à l’universalisme du droit. Pour Bertrand Lambert, président des Panam Boyz, club ouvert à la diversité et partenaire de l’opération, « beaucoup de joueurs ne comprennent pas pourquoi on les oblige à porter ce maillot parce qu’il y a un manque de pédagogie ». Le message d’ouverture censé être défendu n’est manifestement pas clair. Il mériterait d’être dépourvu de cette ambiguïté en passant par une démarche plus consensuelle.

Méthodes intimidantes

Ce genre de campagne s’inscrit dans ce que Régis Debray décrirait comme l’importation du modèle puritain de l’Europe protestante, par sa recherche obsessionnelle de la vertu et l’intimidation de ses opposants.

Marseille reçoit Angers lors de la 35e journée de Ligue 1 de football. Les joueurs étaient invités à soutenir le message « Homos ou hétéros, on porte tous le même maillot » lors de cette journée du championnat © ADIL BENAYACHE/SIPA

La prétention à faire régner le bien entraîne irrémédiablement le besoin de débusquer le mal et si possible publiquement. La quête de l’intégrité dérape facilement vers l’intégrisme. Pour régner, la vertu a besoin d’un instrument, la terreur. Elle appelle nécessairement l’intransigeance, favorise la loi des suspects et encourage la surenchère. Chacun en profite pour dénoncer plus haut et plus fort que son voisin, pour se donner bonne conscience et éprouver le sentiment du devoir accompli. La dénonciation des suspects s’accompagne de l’irrésistible tentation de succomber à l’attitude du paraître et à la pratique ostentatoire de l’indignation: porter un regard dénonciateur sur l’autre pour bien montrer que l’on est soi-même irréprochable.

Eric Roy, entraîneur de l’équipe de football de Brest, en a fait l’amère expérience après avoir critiqué non la campagne, mais le week-end choisi par la ligue de football pour l’organiser, en rappelant que « chacun est libre de ses opinions ». L’inconditionnalité des valeurs vertueuses n’appelant aucune nuance, il n’a pas pu lui être pardonné d’avoir eu la faiblesse de raisonner en entraîneur soucieux des considérations sportives. Le coupable est trouvé, la fuite en avant peut commencer. Peu importe qu’il ait rappelé être ambassadeur d’une association luttant contre les discriminations ou qu’il ait reconnu avoir « porté le brassard aux couleurs arc-en-ciel avec fierté et engagement », sa maladresse le rend moralement coupable et le dogme est répété en boucle: « l’homophobie n’est pas une opinion mais un délit ». Il ne suffit pas pour autant d’asséner 50 fois une affirmation pour qu’elle devienne une vérité.

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En démocratie, un délit correspond à une qualification et à une procédure. La qualification de l’homophobie renvoie à l’existence d’une volonté de discriminer sur l’orientation sexuelle et à la commission d’une infraction (meurtre, viol, torture, vol, injures, menaces, provocations à la haine, diffamation). La procédure, c’est celle du procès équitable, au terme duquel le juge prononce la sanction. Avant son procès, le prévenu est protégé par un principe simple: la présomption d’innocence. Que l’on puisse reprocher à des joueurs de football de ne pas participer à une campagne de sensibilisation contre l’homophobie est une chose, céder à la facilité de penser qu’ils sont homophobes de ce fait en est une autre. Être moralement condamnable ne signifie pas pénalement coupable.

La lutte contre les discriminations a trop souvent tendance à être accaparée par des gardiens du temple autoproclamés qui s’admirent dans le rôle de dénonciateurs, assouvissent des besoins narcissiques d’accusation et se complaisent dans des postures morales qui desservent la cause qu’ils croient servir; ils ne combattent pas les discriminations, ils font la chasse au traitre. S’ils estiment être en présence d’un délit, qu’ils tirent alors les conclusions de leurs constatations en saisissant le procureur de la République afin que des poursuites pénales soient engagées. Il est parfaitement contradictoire de rester dans le confort moral de l’invocation de principes juridiques tout en ayant la faiblesse de ne pas en tirer les conséquences. Au mieux, le procédé qui consiste à dénoncer une infraction inexistante pour s’octroyer généreusement le rôle du rempart de la menace qu’on vient artificiellement de créer révèle une parfaite hypocrisie. Au pire, il s’apparente à de la diffamation.



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