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Journalistes, sarkozystes, même combat!


Journalistes, sarkozystes, même combat!
Jean-Michel Aphatie.
Jean-Michel Aphatie.
Jean-Michel Aphatie.

On devrait toujours écouter Jean-Michel Aphatie. L’autre soir, notre éditorialiste-cassoulet national a en effet émis sur le plateau de Michel Denisot une pensée qui devrait être méditée dans toutes les écoles de journalisme de France. Le genre de propos qui n’admet pas la moindre réplique. « La critique des médias, quand elle est faite en général, est toujours stupide, voire dangereuse, elle est irrespectueuse de l’esprit démocratique. » Au panier (pour rester poli) Karl Kraus, Mac Luhan, Baudrillard, Bourdieu (c’est pas que ça me chagrine tant que ça pour ce dernier mais bon). J’aurais aimé pouvoir dire que j’étais visée parce que l’une des ambitions du « Premier Pouvoir » sur France Culture ou du livre que j’ai commis avec mon ami Philippe Cohen sur le journalisme était bien de se livrer à une critique générale du système médiatique – et du journalisme. Mais bon, je crains que Jean-Michel Aphatie n’ait pensé ni à l’une (l’émission) ni à l’autre (le livre) ni même à mon aimable personne lorsqu’il a fait cette sortie. D’accord, j’ai pas le genre Canal, et croyez bien que je le déplore[1. Cela dit, Jean-Michel Aphatie a eu la courtoisie d’appeler RTL hier pour me répondre en direct. Dans la profession, ceux qui acceptent le principe même du débat et ne récusent pas un interlocuteur au motif qu’il ne pense pas comme eux ne sont pas si nombreux. Dont acte.].

Qu’on ne se méprenne pas. L’ennemi d’Aphatie, ce n’est pas la critique, c’est la généralité. Il admet volontiers que « la critique d’un média en particulier, des journalistes qui ne font pas leur travail ou qui racontent des choses fausses est nécessaire». On ne saurait pas plus parler des médias en général (sauf pour affirmer qu’ils sont, en général, nécessaires à la démocratie) que des élites, de la classe politique ou des jeunes. Je croyais jusque-là que la pensée avait justement quelque chose à voir avec la capacité de généraliser, d’extrapoler, de chercher l’universel derrière le particulier, le général derrière le singulier, et aussi que le journalisme avait partie liée avec la pensée. Je dois avoir faux sur au moins un point. Le journaliste selon Aphatie ne doit pas généraliser pas, ce qui signifie, je le répète, qu’il ne doit pas penser. Il est un expert en faits. Et l’avantage des faits, c’est qu’ils sont vrais ou faux. La vie est simple.

Aphatie me pardonnera d’ignorer son conseil ou sa consigne et de parler de la musique générale des médias au risque, effectivement, de passer sous silence ceux qui récalcitrent dans leur coin – et ceux que j’ai ratés. L’amusant, dans le film Sarkozy contre les journalistes, c’est l’effet de miroir. Après que les petits soldats du sarkozysme ont consciencieusement lâché leur salve l’un après l’autre, c’est donc au tour des journalistes de riposter à la queue-leu-leu. À peine Frédéric Lefebvre a-t-il lâché sa bourde (j’y reviendrai) que la contre-offensive se met en place. Certes, elle est bien moins coordonnée que l’attaque en escadrille des godillots. D’ailleurs, elle n’a pas besoin de l’être. Dans les rédactions, on a tendance à penser pareil, surtout sur ce genre de sujets. Et spontanément avec ça. Ne cherchez pas là l’effet d’une quelconque pression.

En 24 heures, la contre-mayonnaise (pour filer la métaphore de mes camarades Cohen et Joubert) prend solidement. La ligne est simple : c’est la liberté qu’on assassine. Tout le monde (ou presque, d’accord Jean-Michel), reprend cette antienne avec entrain. Les humoristes se joignent au chœur. Au lendemain de la raffarinade de Sarkozy (« les commentateurs commentent, les acteurs agissent »), l’incorruptible Guillon, symbole à lui tout seul de la rebellitude consensuelle, évoque la Birmanie, la Corée du Nord, la Russie de Poutine. Nous sommes tous des Anna Politovskaïa. Grand défenseur des libertés et nouvel arbitre des élégances humoristiques, Guillon en profite pour en remettre une louche sur l’âge des amants de Frédéric Mitterrand et sur Brice Hortefeux, le ministre qui fait des blagues racistes. C’est que contrairement à ses petits camarades, Guillon ne chasse pas un clou pour l’autre. Il tape sur tous les clous en même temps. J’attends maintenant la « une » de mes amis de Marianne qui ont déjà annoncé la semaine dernière que la République était abolie pour cause d’accession de Jean Sarkozy à la tête de l’EPAD.

L’indignation enfle d’une antenne à l’autre, l’ivresse résistante s’empare des esprits. « Ça craint », lâche Pascale Clarke, plutôt sobre pour l’occasion mais dont le ton accablé laisse penser qu’elle redoute d’être arrêtée à la sortie du studio. « C’est une réflexion qui fleure bon le Alain Peyrefitte d’antan et montre que nous sommes toujours sous l’empire de cette vieille façon de faire de la politique, très XXe siècle », affirme Thomas Legrand, le talentueux éditorialiste de France Inter – il faudra qu’il nous explique ce qu’est la politique façon XXIe siècle : la transparence et l’amour du prochain ? Aphatie se cauchemarde embastillé par les forces noires du sarkozysme. Mais cet extrémiste de la modération qui refuse tout autant d’être traité de journaliste-opposant que d’être taxé de journaliste-soumis s’imagine aussi pendu à un réverbère par les bolcheviks de la corporation qui ont, il y a quelques mois, lancé un appel pour la liberté de la presse (ou quelque chose dans ce goût-là) au cours d’un grand raout intello-mondain au théâtre du Châtelet.

Bien sûr, il y a des nuances, peut-être même quelques vagues désaccords, mais pour l’essentiel, le Parti des Médias est en bon ordre de marche. Le résultat, c’est que l’affaire Lefevbre a provisoirement chassé de la « une » le scandale Jean Sarkozy[2. Au cas où ma position sur la question aurait un intérêt quelconque, oui ce n’est ni moral ni élégant d’obtenir un poste ou une position par son nom et quand on est président, on devrait s’abstenir de ce genre d’exemple déplorable. Mais il est assez rigolo de voir s’indigner ceux qui trouvent parfaitement normal de décrocher leur téléphone pour obtenir un job (souvent dans les médias) à leur progéniture. D’accord, ce n’est pas pariel, mais c’est un peu pareil tout de même.]. Chers Aimée et Marc, la ficelle « c’est la faute aux médias » est peut-être usée mais c’est la preuve qu’elle marche encore.

Dans ce festival de grands principes et de phrases ronflantes, on ose à peine s’interroger sur le fond de ce qu’a dit Lefebvre. Puisqu’il est décrété par avance qu’un proche du président ne saurait proférer que des âneries ou des mensonges.

Les journalistes, et en particulier ceux qui passent leur temps à proclamer qu’ils sont le dernier bastion de la résistance dans un pays livré au pouvoir de l’hyper-président, devraient pourtant remercier le porte-parole de l’UMP de les introniser officiellement à ce poste prestigieux – l’opposition réelle, ce n’est pas rien, surtout quand l’opposition légale s’embourbe.

Il n’y a rien d’infâmant à ce que les journalistes aient des opinions – c’est même le contraire qui serait inquiétant. Mais pourquoi diable passent-ils leur temps à s’en défendre ? Il est difficile d’allumer une radio ou une télévision sans entendre une critique, fondée ou non, de du président et de sa politique. Même le Figaro renâcle. Sur France Inter, par exemple, l’anti-sarkozysme n’est pas une opinion (parfaitement respectable au demeurant) mais une vérité incontestable, qui n’a plus besoin de se démontrer ou de s’argumenter. Les journalistes du Service public peuvent se rengorger : eux, salariés des médias d’Etat (et pour un bon paquet d’entre eux, délicieusement inamovibles), ne sont-ils pas la pointe avancée du combat démocratique ? Merci qui ? Merci Sarkozy ! Et ils font leurs chochottes : opposant moi, jamais ! Comme si l’opposition était une maladie honteuse. Mais non les gars, faut y aller ! Ton injure sera mon nom. Assumez, camarades : oui, nous sommes les seuls et les vrais opposants. Et nous en sommes fiers.

On me dira qu’opposition et contre-pouvoir, ce n’est pas pareil. Chez Montesquieu peut-être mais il faut admettre que dans la vraie vie, la nuance est parfois faible. Et quoi qu’en pensent mes estimables confrères, la différence entre pouvoir et contre-pouvoir ne saute pas aux yeux non plus. « Le pouvoir, dit Thomas Legrand, n’admet pas les contre-pouvoirs. » Il s’agit bien sûr du pouvoir politique. L’affaire Lefebvre révèle, pour ceux qui en doutaient, que le pouvoir médiatique ne les tolère pas plus.

Novembre 2009 · N°17

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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