Avant la mobilisation contre la réforme des retraites, le président Macron a organisé un déjeuner secret, au cours duquel il s’est directement épanché auprès de célèbres éditorialistes. Objectif : distiller la bonne parole… Même pas vexée de ne pas avoir été conviée, Elisabeth Lévy donne son avis.
Le président a reçu une dizaine de journalistes en grand secret. Et ça fait jaser. Le secret a duré quatre jours. C’était mercredi 18 janvier, veille de la grande manifestation contre la réforme des retraites. Peut-être le président de la République pense-t-il qu’il est entouré de branquignols incapables de faire l’article de sa réforme ? Son service de presse a invité des éditorialistes de grands médias – qui ne sont pas tous des adversaires politiques – à déjeuner à l’Élysée pour qu’ils s’abreuvent directement à la parole divine.
Déjeuner de cons?
Seule condition : le secret. Ne pas citer le président de la République. C’est ce qu’on appelle un briefing off. Pour faire passer un message clair : à l’Élysée, même pas peur.
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Le off, c’est vieux comme le journalisme. Vous pouvez utiliser une info mais pas dire d’où elle vient (on évoque ainsi des « sources proches de l’Élysée », « l’entourage d’un tel ou d’un tel » etc.) Alors oui, on brouille un peu les cartes en transformant les journalistes en porte-parole.
Mais la parole du président, c’est de l’information autant que celle d’un syndicaliste. Après leur déjeuner, les participants informent leur public sur l’état d’esprit d’Emmanuel Macron – « Il ne croit pas à la victoire de l’irresponsabilité »,« Il tiendra ! » entendra-t-on en boucle.
Est-ce pour autant scandaleux ?
Les airs de déontologues outragés, laissons-les à Daniel Schneiderman (Libération, Arrêt sur Images) et Edwy Plenel (Mediapart). Ce dernier fustige un journalisme de gouvernement. Le journalisme de délation et d’inquisition ne vaut pas mieux. Pour ma part, je ne vais pas donner de leçons aux confrères. Si on avait été invités, on y serait allés. Ne serait-ce que pour en parler dans les dîners, comme s’en amuse Guy Carlier.
Mais justement, on n’a pas été invités ! Le problème, c’est l’entre-soi, on reste entre gens du même monde qui parlent le même langage. Des gens du cercle de la Raison, comme l’excellent Alain Duhamel. Il y avait aussi son neveu, Benjamin, qui officie sur BFMTV, et tous les médias convenables, Le Monde, Les Échos, Le Figaro, France Inter… Si certains éditorialistes reprennent ensuite à leur compte (sans citation) des arguments présidentiels, ce n’est pas par servilité mais parce qu’ils pensent comme lui. Cela n’est d’ailleurs pas infamant. Évidemment, autour d’eux, ces gens ne doivent pas avoir beaucoup d’amis qui votent mal. Si le président avait invité des gens de Causeur, de Valeurs Aactuelles, ou de Sud Radio, il aurait pu aussi apprendre des choses. Patrick Roger, par exemple, vous auriez été le porte-parole de cette France des gens ordinaires qui vous parle tous les jours en appelant le standard de Sud Radio.
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Le véritable risque, c’est que ce déjeuner confidentiel alimente le moulin à fantasmes qui prête aux journalistes des calculs tortueux, des collusions cachées et des pouvoirs occultes. En réalité, c’est bien plus simple : cet épisode qui fait couler beaucoup d’encre est la preuve que l’élite politico-médiatique, ça existe.
Le problème, c’est qu’elle n’inspire plus confiance à grand-monde.
Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio
Retrouvez Elisabeth Lévy du lundi au jeudi après le journal de 8 heures, dans la matinale.
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