Le journal de Marc Hanrez


Le journal de Marc Hanrez
(Photo : John Perivolaris - Flickr - cc)
(Photo : John Perivolaris - Flickr - cc)

Heureuse idée qu’a eue Marc Hanrez (1934) de publier un condensé, la pointe de l’iceberg, d’un journal intime tenu de 1958 à 2000. Des 6 000 pages que compte le dit journal, il en a extrait une centaine, relatives au milieu littéraire qu’il a côtoyé depuis ses années d’étudiant à l’Université libre de Bruxelles (ULB) jusqu’au campus de Madison (Wisconsin, Etats-Unis), où il a, trente ans durant, enseigné la littérature française.

Etudiant en philologie romane, il subit, comme tant d’autres, le choc du Voyage, lu quasi d’une traite dans un train de nuit. C’est au style de Céline qu’il consacre son mémoire de licence. Notons que, à peine dix ans après la guerre, étudier des écrivains maudits ne semble nullement tabou. A la même époque, il se passionne pour Drieu la Rochelle à qui il pense consacrer une thèse, avec l’assentiment d’un ponte de l’ULB : « Ses limites sont émouvantes, comme est poignante sa lucidité généreuse ». Invité par Céline, il a eu le privilège de le rencontrer à Meudon, et même de l’enregistrer : « J’ai foutu en l’air toutes leurs incantations, le tralala syntaxique, etc. » C’est à Hanrez que Céline lance : « L’histoire de l’homme blanc s’est terminée à Stalingrad… à bout de souffle … le théâtre blanc a fermé ».

Avec l’aide de Roger Nimier, qui le reçoit à bras ouverts chez Gallimard, le jeune philologue publie l’une des premières monographies consacrées à celui qu’il considère comme un grand moraliste européen. Suivront d’autres études sur Céline, un magnifique Cahier de l’Herne consacré à Drieu, le premier essai consacré à Abellio… et aussi quelques recueils de poèmes raffinés, comme Chemin faisant (Ed. Xénia).

En soixante ans,  Marc Hanrez a rencontré du grand monde : Jean Cocteau, Roger Nimier, son grand ami Dominique de Roux, Marcel Aymé, l’égaré Jean-Edern Hallier, Vladimir Dimitrijevic alias Dimitri, et même Philippe Sollers (« le pitre intégral »), à qui il semble fort lié. Des Belges aussi, et non des moindres : le hussard Vandromme, le très-étrange Marcel Lecomte (« ineffable, apollinien, dionysiaque et pontifiant »), les professeurs Emilie Noulet et Roland Mortier, Norge et Bertin, Robert Poulet (« un genre canaille intellectuelle et raffinée »). Curieusement, aucune trace de Marc Laudelout, l’insubmersible éditeur du Bulletin célinien.

Ce journal littéraire nous promène des années 50 aux premières années du siècle XXI, des campus américains au Café de la Mairie, place Saint-Sulpice ; le lecteur y croise Jean Marais et Marc-Edouard Nabe, Gabriel Matzneff et le traducteur de Jünger, Julien Hervier. Quelques jolies femmes. A Madison, il reçoit Borges et Butor, Genette et Kristeva. Comment ne pas envier celui qui a eu la chance et de consulter les livres annotés de la main même de Drieu, et d’entendre Jean Cocteau déclarer au tout Bruxelles de 1955 : « Le poète est un anarchiste et un aristocrate. » Un joli livre qui, en ces temps post-littéraires, se lit avec une pointe de mélancolie.

Poste restante. Un journal littéraire (1954-1993), Marc Hanrez, Editions de Paris, 96 pages, 14 euros.

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écrivain et critique littéraire belge. Dernier livre : Les Nobles Voyageurs (Le Nouvelle Librairie, 2023)

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