Entretien avec Joseph Tayefeh de Plastalliance, organisation professionnelle qui représente l’industrie de la plasturgie en France
En Europe, nos sociétés et nos économies subissent une pression constante pour réaliser la transition écologique. Conduisons-nous toujours cette transition de la manière la plus intelligente ? Trop souvent, nous imposons des contraintes à nos propres industries en délocalisant les effets nocifs vers des pays moins regardants sur la pollution et la destruction de l’environnement. Trop souvent, nos propres entreprises se trouvent désavantagées par ces contraintes sur le plan de la productivité et de la compétitivité face à des rivaux sur d’autres continents. Et trop souvent, nous abandonnons aux autres des pans de secteurs vitaux – comme l’agriculture ou les fournitures médicales – sur lesquels nous devrions conserver un degré important de contrôle.
Non seulement l’Union européenne a tendance parfois à pécher de cette manière par rapport aux pays non-adhérents, mais la France aussi par rapport aux autres États-membres. Un domaine où on voit fréquemment de tels travers est celui du plastique. C’est pour cela que Joseph Tayefeh, secrétaire général de Plastalliance, une organisation professionnelle qui, depuis 2005, représente les entreprises de la plasturgie, des composites et des filières connexes, milite pour réhabiliter l’image de l’ensemble de ces industries et pour promouvoir une transition écologique intelligente. A cette fin, il a publié en octobre 2023 Plastique bashing. L’intox ? (Le cherche midi) qui prend la défense de la filière française et cherche à dissiper les malentendus et les erreurs qui mettent en péril son avenir. Cet ouvrage va jusqu’à évoquer « la destruction souhaitée et organisée de l’industrie plastique au sens large » et soutient que, depuis 2018, cette dernière subit « un bashing médiatique exceptionnel » au nom d’une cause écologique trop souvent transformée en dogme intransigeant.
Avant d’interroger son auteur sur des développements en cours aptes à susciter l’inquiétude des Français, rappelons quelques-uns des points-clés de ce livre :
- Le plastique est omniprésent et très difficile à remplacer. Sans plastique, la vie telle que les 8 milliards d’habitants de la Terre la vivent serait impossible. Il joue un rôle essentiel dans des dispositifs – tels que les panneaux photovoltaïques – sur lesquels on compte pour réduire le réchauffement climatique.
- Le plastique a permis de remplacer des produits d’origine animale, comme l’écaille ; il coûte moins cher à fabriquer que l’équivalent en bois, carton ou métal ; et sa production crée moins de gaz à effet de serre que la sidérurgie, ainsi que d’autres filières productrices de matières susceptibles de le remplacer.
- Un tiers de la nourriture produite dans le monde est perdu ou gaspillé. Les emballages en plastique permettent de préserver et de prolonger la vie des aliments. Comme les déchets alimentaires créent entre 8% et 10% des gaz à effets de serre, l’interdiction simple des emballages en plastique aurait des conséquences très graves.
- L’UE et l’ONU restent conscientes des difficultés qu’il y a à réduire la pollution de l’environnement par les déchets plastiques et cherchent des moyens efficaces et réalistes pour avancer, la France semble plutôt choisir « la voie facile de la prohibition aveugle et inefficace » des produits plastiques.
- La plasturgie française était le numéro deux en Europe il y a une vingtaine d’années ; depuis, elle a dégringolé. Mettre des boulets à la filière française – qui d’ailleurs ne permettront pas de résoudre les problèmes environnementaux revient à saboter l’industrie nationale au profit des intérêts étrangers.
En ce qui concerne le plastique, la clé d’une utilisation durable réside dans le recyclage. A cet égard, la France est la mauvaise élève de l’UE. En 2020, seuls 21,4% des déchets plastiques ont été recyclés, la France arrivant à l’avant-dernière place des 27 de l’Europe. Pourtant, la même année, la promulgation par la France de la Loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) a fixé des objectifs irréalistes, dont le recyclage de 100% des déchets plastiques avant le 1er janvier 2025. Les meilleurs élèves n’arrivant qu’à un peu plus de 50%, le but est impossible. On ne devient par le meilleur élève par pure imprécation. Selon le gouvernement français, il faut aussi mettre fin aux bouteilles plastiques à usage unique d’ici 2040. Dans ce cas comme dans l’autre, les objectifs sont non-contraignants – voire fantaisistes – mais leur énonciation détruit l’image du plastique sans proposer une solution intelligente afin de continuer à en profiter. D’ailleurs, la France perd son temps à proposer des objectifs qui sont contraires à la loi européenne. Si elle persiste sur cette voie, l’industrie et les consommateurs français seront les seuls perdants.
Causeur. Quel est l’enjeu actuel pour la plasturgie française ?
Joseph Tayefeh. Mon livre tire la sonnette d’alarme, non pas sur la disparition du plastique dont les prévisions de croissance sont x2 à x3 minimum d’ici 20 ans au niveau mondial, mais sur une volonté plus ou moins affichée de faire disparaître l’industrie plastique française. Si la France n’a pas une autonomie stratégique en termes de fabrication de produits en plastique, c’est une dépendance grave vis-à-vis de l’étranger dans tous les secteurs d’activités qui s’annonce. La pénurie des masques ou des blouses, qui sont en plastique, à l’hôpital, lors de l’épisode Covid-19 n’est qu’un avant-goût de ce qui pourrait nous attendre sur une échelle bien plus massive tant le plastique est présent quasiment partout et pour de très bonnes raisons. C’est notre souveraineté qui est en jeu.
Les opposants au plastique ne nient pas l’importance de son rôle dans notre vie mais ils ne proposent aucune alternative viable techniquement et économiquement. Les adeptes de la décroissance n’ont pas conscience ou préfèrent peut-être ne pas voir les conséquences plus ou moins inattendues de l’application de leur idéologie.
A l’heure où nous parlons, quelle est la menace la plus sérieuse qui pèse sur la filière plastique en France ?
Il s’agit de celle pesant sur les emballages plastiques à usage unique pour les fruits et légumes. Alors qu’aucun texte européen ne l’exigeait, la France s’est mise en tête dès 2020 avec la loi anti-gaspillage et pour une économie circulaire dite loi « AGEC », d’interdire les emballages plastiques pour la plupart des fruits et légumes. La surtransposition idéologique dans toute sa splendeur ! Si je veux bien admettre qu’une noix de coco ou un ananas peut être très bien vendu sans emballage, je peux vous assurer que pour certaines catégories de fruits et légumes, c’est une autre histoire. Pour les pêches et abricots, j’ai eu des retours de la filière française qui m’ont indiqué que le passage du plastique au carton allait occasionner un coût estimé à près de 30 cts /UVC (Unité de Vente Consommateur). Avec 40 millions d’UVC, l’impact est estimé à 12 000 000 € par an rien que pour cette filière. Par ailleurs, un essai mené par ce même secteur des pêches et abricots en janvier 2024 a conclu que le passage au carton entraînerait une humidité abondante dans la barquette avec un risque d’augmentation de la pourriture des fruits. On est au cœur du gaspillage alimentaire ici. J’ai pu avoir un retour similaire d’un des grands producteurs français de haricots pour qui le passage du plastique au papier nécessite un investissement de 220 000 € pour les lignes d’emballages, sur un budget annuel d’investissement de 250 000€ et un surcoût de 12.5 ct/UVC. L’augmentation directe pour le consommateur est de l’ordre de 23.25 ct HT et avec à la clef la perte des propriétés tant appréciées du plastique telles que la transparence et le maintien d’une durée de conservation ad hoc. Le 4 avril 2024, une audience est prévue au Conseil d’État afin de demander la suspension du décret français du 20 juin 2023 qui met en musique l’interdiction prévue par la Loi. La Commission européenne elle-même dans un courrier en date du 6 décembre 2023 adressé aux autorités françaises, avait demandé à la France de procéder à « une abrogation totale du texte en question, soit une notification d’un nouveau projet destiné à le remplacer ». Lors de l’audience devant le Conseil d’État, je serai accompagné d’un producteur qui pourra expliquer directement à la juridiction à quel point le « plastique bashing » est littéralement la fin des haricots !
On doit pourtant lutter contre la pollution plastique…
Il faut lutter contre la pollution générée par les déchets plastiques mal ou pas gérés, pas contre le produit en lui-même. Si un camion de farine se renverse sur la route avec des sacs éventrés, ce n’est pas le boulanger que l’on va accuser. La pollution par les déchets plastiques est due principalement à la mauvaise gestion des déchets par des pays qui n’ont aucun moyen de les capter (81% de la pollution plastique dans les océans provient de l’Asie, à comparer avec l’Europe qui en est responsable à hauteur de 0,6%). Il y a également la problématique des granulés de plastiques industriels, qu’on appelle aussi « larmes de sirène », qui se retrouvent sur les plages parfois françaises à la suite de la perte de containers en mer. C’est un problème de transport maritime, pas de fabricants situés sur le territoire national. Enfin, l’incivilité est certes un souci réel mais un souci occidental qui doit être plus durement sanctionné. Ramené à l’échelle mondiale, cela représente dans les faits qu’une très faible part de cette pollution même si elle reste spectaculaire quand les journaux télévisés montrent telle décharge sauvage ou telle forêt française jonchée de détritus (plastiques ou pas, d’ailleurs) à la suite du passage de randonneurs peu scrupuleux.
La France semble vouloir faire cavalier seul en Europe en prétendant aller plus loin que les autres États-membres…
Le ministre de la transition écologique, Christophe Béchu, s’est présenté sur CNews comme le « ministre de la planète », rien que ça. Mais au vu des résultats calamiteux de la France en matière de recyclage des plastiques, on peut se demander si l’économie circulaire à la française n’est pas devenue une autre manière de tourner en rond. La France est dans les derniers de la classe au niveau européen en matière de recyclage des emballages plastiques avec un taux de près de 23,1% quand la Belgique ou les Pays-Bas approchent des 60%. Alors que des pays comme l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, le Danemark ou la Suède ont réduit l’enfouissement des déchets d’emballage plastiques à quasiment 0, la France continue d’enfouir près de 21% de ces déchets et à en incinérer près de 56%. Alors que la majorité des pays européens (y compris les trois pays baltes) ont mis en place la consigne pour collecter et recycler les bouteilles plastiques, la France s’obstine à repousser cette méthode vertueuse et qui a fait ses preuves. Heureusement, l’Europe veille et c’est peut-être contre-intuitif, mais la souveraineté de l’industrie plastique française sera sauvée au niveau européen et pas au niveau français.
Ne faudrait-il faire plus confiance à l’Europe qu’au gouvernement français ?
Un texte majeur a été approuvé le 15 mars 2024. C’est le projet de règlement européen sur les emballages et les déchets d’emballages. Comme tout texte, il n’est pas parfait mais il a le mérite d’enterrer certains objectifs français qui vont devenir incompatibles avec les règles communes. Ni la fin généralisée des emballages plastiques à usage unique en 2040, ni la réduction de moitié des bouteilles plastiques mises sur le marché d’ici 2030 comme l’espérait la France dans AGEC, ne figurent dans le texte, qui a été, et c’est très ironique, approuvé par la France, lors de la réunion des 27 ambassadeurs européens le 15 mars.
L’Europe prévoit certaines interdictions sur des produits bien ciblés mais avec souvent des exemptions qui ne seront pas, in fine, négligeables. L’Europe prévoit également la mise en place de la consigne pour les bouteilles en plastiques d’ici 2029 sauf si l’Etat membre concerné atteint un taux de 80% de collecte pour recyclage desdites bouteilles en 2026, c’est-à-dire demain. On tourne depuis des années en France à 60% et je ne vois pas comment un bond de 20 points sera effectué d’ici 2026. La consigne deviendra inéluctable. La vraie bataille va être celle du gisement de plastique recyclé, car des objectifs d’incorporation de matière secondaire sont établis par le texte avec l’interdiction de mise sur le marché comme sanction si le quota de recyclé incorporé ne suit pas. Il est plus qu’urgent qu’un sursaut national se fasse en la matière et que l’on passe d’une politique de réduction du plastique tout court à une politique de réduction de l’utilisation de plastique vierge et donc de soutien à l’émergence d’une filière de collecte et de recyclage solide et pérenne en France.