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Moi est un autre

Gilles Antonowicz publie ce jour "José Giovanni – Histoire d’une rédemption" (Glyphe)


Moi est un autre
© Éditions Glyphe

Condamné à mort en 1948 pour crimes de sang, celui qui s’appelle alors Joseph Damiani, truand englué dans la délinquance sordide, n’est pas encore l’Autre, José Giovanni, l’auteur Gallimard et le scénariste proche de Ventura et Delon. Ce long chemin vers la rédemption nous est raconté par un maître du genre, Gilles Antonowicz.


Gilles Antonowicz, habitué des prétoires et des zones grises, cherche la vérité dans le parcours brumeux d’hommes hors-cadre, d’hommes bannis par la bonne société. Les réprouvés et les exclus du système ont toujours eu sa préférence. Cet avocat honoraire examine les pièces d’un dossier avec un flair de pointer, retourne les bibliothèques de France, ne se satisfait jamais d’une explication simpliste et rassurante sur la psychologie d’un condamné. Il ne croit pas aux raccourcis, aux aveux téléguidés, aux marchandages médiatiques et autres simagrées de justice. Son obstination est à la hauteur de son courage d’écrivain. Car, il en faut pour consacrer des essais charpentés sur des affaires louches, indéfendables, sensibles, aux relents de Collaboration et d’égarements politiques, à ceux aussi dont le sort est scellé d’avance, les recalés des salles d’audience et les perpétuels reclus. Les dissidents, armes à la main ou code pénal dans la manche, aux amitiés douteuses et aux compromissions torves, l’intéressent pour ce qu’ils disent ou ne disent pas des époques incertaines. Antonowicz n’a pas la passion du crime et de ses assesseurs pour satisfaire le sensationnalisme de la ménagère, il aime se plonger dans des périodes complexes où les rôles sont parfois interchangeables, où la palette des nuances est nécessaire pour appréhender au plus près la vérité de chacun. Notre société manichéenne ne peut comprendre cette subtilité-là. Elle n’autorise que la schlague et les intimidations. Elle est trop lourde pour saisir l’âme humaine face au tumulte du monde extérieur. Antonowicz n’excuse pas, il n’absout pas, il n’est ni un juge, ni un curé, il raconte avec une précision qui devrait rendre jaloux ses jeunes confrères du barreau. Il ne se contente pas de la pulpe des choses, de la surface éphémère d’un procès, il en décortique la mécanique et l’infernal tourbillon. Antonowicz aurait pu travailler chez les maîtres horlogers suisses, sa « réserve de marche » est infinie. Avec lui, sous une plume soyeuse et chirurgicale, nous sommes déjà entrés dans l’intimité de Jacques Isorni, de Maurice Garçon et de Pierre Pucheu. Si ces noms vous sont totalement inconnus, lisez Antonowicz pour avoir une vue d’ensemble. Dernièrement, il a travaillé sur les affaires d’Outreau et les berrichons Mis et Thiennot. Ses conclusions ne font pas plaisir à tout le monde. On pourrait croire qu’il a une vision romantique d’un destin. Sa lucidité et sa rigueur nous apportent très souvent un éclairage nouveau aux banalités répétées sans cesse sur des événements vieux désormais de soixante-dix ans. Lire Antonowicz, c’est souvent s’arcbouter sur un sujet vitreux, rebattre les cartes, démêler la pelote, éviter les autoroutes de la pensée, apprendre à douter de soi et aussi faire montre d’une magnanimité sur une descente aux enfers. L’auteur sait combien la linéarité est un leurre, un masque pour continuer de barboter tranquillement en société.

Gilles Antonowicz © Alain Le BOT/Opale.photo

Il a jeté sa gourme cette fois-ci sur José Giovanni (1923 – 2004), son passé dans le couloir de la mort, douze ans de détention, sa grâce, son entrée en littérature sous les bons auspices de son avocat Stephen Hecquet (Le Trou, Le Deuxième Souffle, Classe tous risques, l’Excommunié, Ho !, Les Ruffians, etc..) et ses millions d’entrées au cinéma avec Becker, Deray, Enrico ou Verneuil. Du personnage, les cinéphiles avaient quelques tuyaux usés, de vagues réminiscences, on savait que Giovanni avait été dans de beaux draps, il avait frôlé la grande faucheuse de très près, il en parlait peu, même si son cinéma est rempli de mauvais garçons et de haines féroces, d’impasses et d’impossibles renaissances. Cet ancien de Stanislas termina sa vie sous la croix helvétique, entre ces deux pôles, Antonowicz vous dit tout. Alphonse Boudard, un autre camarade de Centrale et de salons du livre, s’était plus longuement épanché sur sa jeunesse turbulente, il en gardait les séquelles mais tentait de faire rire avec ses déboires en cascade. Giovanni était plus tendu, plus crispé, plus tourmenté aussi, même dans les interviews anodines, on sentait son extrême nervosité, cette sensibilité qui fait grincer les dents. Comme à son habitude, Antonowicz part sans idées préconçues, rien que les faits, les dates, les recoupements, les témoignages, un décryptage historique et il resserre la focale sur le bonhomme. C’est prodigieux. Dans cette « Histoire d’une rédemption » aux éditions Glyphe, il trace les pleins et les déliés, les hauts et les bas, les carences et les refoulements successifs d’un itinéraire « fascinant ». Les pages sur l’enfance et la jeunesse de celui qui s’appelle Damiani sont remarquables ; on voit ce gamin sur la pente fatale, puis c’est l’enchainement, la fidélité au frère, l’attachement à la mère, dans une atmosphère corso-mafieuse poreuse, le jeu et les filles, les hôtels, l’argent facile, les déveines, les promiscuités honteuses, le PPF, les Chantiers de jeunesse, la montagne comme seul exutoire, la Libération et ses ombres, un embrouillamini qui n’effraie pas Antonowicz. Et puis, tout au fond, la lumière des salles obscures, le retour chaotique à la « normalité ».

« Je n’avais pas assez de sens moral pour faire la part des choses. Le retour à la vie normale vous attriste par sa fadeur » avouait-il. Le cinéma et la littérature auront été ses exhausteurs d’existence.

José Giovanni – Histoire d’une rédemption – de Gilles Antonowicz – éditions Glyphe  

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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