En censurant une affiche pour son livre dans les gares avec des arguments spécieux, la régie de la SNCF offre une incroyable et inespérée campagne de publicité au président du RN.
Alors là, Mesdames et Messieurs, chapeau bas ! Sans contestation possible, le prix Nobel 2024 de la stratégie éditoriale ne peut être décerné – à l’unanimité – qu’à l’équipe des éditions Fayard, éditeur du livre de Jordan Bardella, Ce que je cherche. Quel coup de maître ! On n’a jamais fait mieux pour assurer la promotion d’un bouquin à sa sortie. Et quasiment sans mettre un kopeck dans la machine. Bravo ! Bravissimo !
Un coup magistral
Bien sûr, je ne suis pas dans les secrets de l’affaire et je ne fais ici que tenter de m’insinuer dans le cerveau des concepteurs de ce coup absolument magistral. Je pense qu’ils sont partis du constat extrêmement simple, maintes fois vérifié, que la bêtise est toujours prévisible. Elle avance avec de gros sabots et un nez très rouge, si bien qu’on l’entend et la voit venir de loin. Forts de cette certitude, ils se sont dit, puisqu’il s’agit pour nous de publier ce qui est selon les ayatollahs aux petits pieds du syndicalisme à la papa de la SNCF et de la RATP quelque chose qui s’apparente aux œuvres du Diable, faisons mine de convoiter une vaste campagne d’affichage dans les gares de France avec en grand le portrait du Lucifer en question assorti du titre de cette œuvre vouée aux flammes de l’enfer.Rien que de très sobre en fait. Et doncd’autant plus efficace.
Les réactions horrifiées n’ont pas tardé tant il est vrai que la manifestation de la bêtise, contrairement aux trains en gare, ne se fait jamais attendre bien longtemps. Levée de boucliers, protestations furibardes. No pasaran Bardella et son opus ! La régie publicitaire de la SNCF retoque le projet de campagne d’affichage. Conséquence immédiate, un tapage médiatique XXL. Le tour est joué. Chez Fayard, subodoré-je, plus ou moins en catimini on débouche le champagne. L’affaire est dans le sac.
Les arguments avancés pour ce rejet sont eux aussi une assez belle illustration de la sottise à l’œuvre. M. Bardella, figurez-vous, est un personnage politique en activité. Président de parti et député européen. En activité, là est la première raison du refus. S’il avait attendu d’avoir échoué, d’avoir bien baladé ses électeurs et les Français dans son parcours de quinze ou vingt-cinq ans de vie publique, tels celles et ceux qui, bien que personnages politiques très affirmés eux-mêmes, ont eu droit précédemment à de semblables campagnes, le rideau de fer se serait peut-être entrouvert. Ou bien aurait-on déniché une autre baliverne, du genre « ne contribuons pas à réveiller la Bête immonde, faisons barrage au retour des fantômes sur pattes des obscures légions de l’Adolph ». La bêtise, en effet, est non seulement prévisible mais le ridicule lui va comme un gant.
Arguments spécieux
Autre argument pour l’interdiction, le titre. Une merveille d’intelligence, cet argument ! Derrière ces simples mots, Ce que je cherche, se profilerait un programme politique. Enfer et damnation ! En fait, une proposition, une réflexion, un état des lieux. Ce qu’on appelle un contenu. Or, ce serait au nom de la neutralité qu’on censurerait – il s’agit bien de censure en effet – le contenu d’un ouvrage ! Où est la neutralité ? Émettre un avis et mieux encore prononcer un interdit sur la base des idées, du contenu d’un texte ne peut en aucun cas être effectué sans, par le fait même, s’extraire du principe de neutralité. Cela implique évidemment de prendre parti. Prendre parti, tout l’opposé de la neutralité. Et au nom de quoi ? Selon quels critères, quelles normes objectives définies par qui et selon quelle méthode (méthodologie, comme on dit dans les très inutiles séminaires de cadres exténués)?
Qu’importe au fond. La bêtise ne s’arrête pas à ces considérations. Elle fait la guerre. La guerre aux idées qui la défient et la défrisent. Sauf que la guerre aux idées ne peut se faire qu’idées contre idées. Encore faut-il en avoir. Là est le problème. Alors il reste l’arme dérisoire et pitoyable qu’inspire la panique – car ils sont en panique – l’interdit, l’anathème, l’absurdité inquisitoriale.
La CGT, par la voix d’un de ses brillantissimes chefs, a commenté ce projet de campagne : « C’était une véritable provocation (…) Tout le monde est remis à sa place et on peut toujours affirmer que le RN n’est pas un parti comme les autres. » Tout le monde remis à sa place, comme les onze millions d’électeurs du second tour des législatives refoulés sur le quai de la gare tandis que la carpe et le lapin embarquaient allègrement dans le TGV fourre-tout du Barrage dit Républicain. Or, c’est bien cette même guerre qui aujourd’hui se prolonge. Usant de moyens et de procédés de plus en plus médiocres, imbéciles, mesquins. Moyens et procédés qui ne sont, pour tout dire, que l’acceptation inconsciente et refoulée de la victoire des idées que ces épouvantés en carte prétendent combattre.