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Quand on arrive en ville!

Jonathan Siksou publie "Vivre en ville" (Le Cerf, 2023)


Quand on arrive en ville!
Jonathan Siksou. © Hannah Assouline

Précisons-le tout de suite : si nous disons du bien du nouveau livre de Jonathan Siksou, ce n’est pas parce qu’il travaille à Causeur. C’est parce qu’il le mérite ! Avec un humour ravageur, il alterne chroniques, anecdotes vécues et références littéraires pour dresser le foudroyant bilan d’une débandade généralisée : celle de la vie citadine. Un essai percutant.


Quel terrain de jeu pour un homme de plume talentueux que cette ville grouillante, indistincte, indéfinie, dégoulinante de loisirs somptuaires et débordante d’impostures ; toujours là, jamais remplacée, indétrônable objet de convoitises et de lâchetés collectives. Un jour, tous les hommes y passeront et certains d’entre eux y vivront même des décennies. Les pauvres emmurés. Les rescapés, ceux qui ont fui, en parlent avec des sanglots longs dans la gorge. Lieu de sociabilités extrêmes et d’ultramodernes solitudes, cette ville immortelle a résisté au Covid.

Antre noir

Après la pandémie, les plus fins analystes de notre vie politique pressentaient une grande vague migratoire, le repeuplement des campagnes et la ruralité enfin triomphante. La revanche de Cloche merle sur cette capitale floue. Après avoir été séquestré durant des mois, soumis aux diktats de l’autorisation préalable de déplacement, le Parisien aspirait à son carré de verdure et à son barbecue brûlant, signes d’une nouvelle réussite sociale et de son exfiltration climatique. On lisait parfois dans les magazines que certains chanceux avaient échappé à la tenaille urbaine (merci le télétravail) et à la tyrannie des travaux en capilotade. Des exceptions, comme les poissons volants dans la tirade du Président. Et puis, la ville, malgré son pardessus râpé et ses vitrines tapageuses, a continué de faire la course en tête et d’attirer toujours plus de victimes consentantes dans son antre noir. Difficile de s’en extraire, quand son attraction et sa répulsion jouent un jeu trouble et dangereux. Qui l’emportera, à la fin ? Dieu seul le sait.

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Pour expliquer ces phénomènes contradictoires, un peu dingues et sacrément savoureux, il fallait une plume alerte. L’œil vif d’un observateur qui n’est pas rance ou perclus de préjugés médiatiques. Un journaliste – un essayiste, c’est plus chic – qui, folle audace, regarde ses contemporains dans le métro, dans les jardins publics, dans les ascenseurs, à la table de ses amis, avec une tendresse ironique et un esprit farceur. Un flâneur d’un genre particulier, car ce jeune intellectuel est scotché au macadam. Le trottoir lui colle aux basques. Le pavé gris sera son destin d’écrivain. Il n’a pas l’outrecuidance de vous raconter la transhumance ou la traite matinale. Le pittoresque ardéchois et l’archétypal berrichon ne sont pas dans son champ de vision. Si Jules Renard a si bien croqué les paysans, notamment dans son Journal, Jonathan Siksou est un piéton 3.0 de Paris, turbulent, fin, délicieusement vipérin et surtout taquin ; la plus grande qualité d’un chroniqueur est de ne jamais se départir de son humour ravageur. C’est son bien le plus précieux.

Évolution des mœurs

Prix Transfuge du meilleur essai 2021, avec Capitale, paru au Cerf, Siksou récidive avec Vivre en ville, dans la même maison. Il s’amuse et nous amuse à déterminer comment cette « construction étrange », zone de fantasme et d’aigreur qu’est la ville, offre un visage tantôt comique, tantôt despotique. D’autres, avant lui, ont battu le pavé, on pense à Carco, Fargue, Hardellet, Boudard, Clébert ou, plus récemment, au sieur Paucard, dernier archiviste de Paname. L’intérêt de cet essai écrit dans un français pur, ce qui ne gâche rien, réside dans son caractère hybride, transgenre pourrait-on même avancer. Sur un ton enjoué, réac-choc et très documenté, Siksou change perpétuellement de registre et de braquet, il alterne la chronique, l’anecdote vécue, la référence littéraire, la statistique non assommante et le foudroyant bilan comptable d’une forme de débandade généralisée. Il prévient, dès son avant-propos, que la ville porte en elle le sceau de tous ses dérèglements :« Vivre en ville est de plus en plus invivable mais de plus en plus de monde souhaite y vivre, et ce, partout dans le monde. […] Quand ceux qui y sont veulent en sortir, d’autres, à l’extérieur, rêvent d’y entrer : c’est l’insatisfaction générale, le mécontentent permanent. »

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Sous la plume de Siksou, tout y passe, nos habitudes, nos évitements, nos aveuglements, nos faillites, la fin des bouquinistes et le touriste-roi, la mendicité organisée et l’affaissement vestimentaire visible dans les rues, les dîners mondains à l’obsolescence programmée et le « café d’en face » devenu notre résidence secondaire, comme si la ville condensait tous nos maux et nos dérives. Siksou ne nous épargne aucune de nos turpitudes citadines. Dans ce grand trou de l’invisibilité que sont les couloirs du métropolitain ou les boulevards, les passants qui y déambulent sont qualifiés de « saouls ou groggy, somnambules », décrivant « de curieuses ellipses sur les trottoirs ». Siksou fait le constat que plus personne ne lève les yeux de ces satanés smartphones, notre asservissement numérique. Fantomatique, l’homme de la rue marche sans but ni entrain, dans un nuage virtuel. La ville lui permet et promeut ce dédoublement de la personnalité et la fin de tout idéal. Siksou appuie là où ça fait mal, où le fameux « vivre ensemble » est le plus étique, le plus burlesque ou le plus mensonger. Cette radioscopie est salutaire, elle pourrait virer au ball-trap, mais Siksou n’est pas un Torquemada des assemblées, il ne se présentera pas aux prochaines municipales. Il n’oublie jamais les qualités d’un bon livre que sont le plaisir de lecture et une belle érudition en partage, tout le contraire des pédagogues revanchards. Là où son essai est le plus littérairement percutant, c’est dans l’invention de quelques formules assassines, philippiques gracieuses. Nous applaudissons lorsqu’il écrit : « L’évolution des mœurs a introduit une coutume jamais vue jusque-là dans nos parcs : l’exhibitionnisme hygiéniste. » Le règne du short court et du débardeur en sueur a déferlé sur les quais. « Jogging, séances de relaxation asiatique, boxe, haltérophilie…Tout cela devant le regard de promeneurs qui n’ont rien demandé – et surtout pas ça », persifle-t-il, avec une inflexibilité goguenarde. Un livre à offrir à tous les édiles qui voudraient sauver leur ville d’une uniformisation asphyxiante.

À lire

Jonathan Siksou, Vivre en ville, Le Cerf, 2023.

Vivre en ville

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Jonathan Siksou, Capitale, Lexio, 2023.

Capitale

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Septembre 2023 – Causeur #115

Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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