Mon premier Johnny, je l’ai rencontré en 1960, à l’âge de 11 ans, un jour que ma cousine Lydia me mit sous l’oreille Souvenirs, souvenirs. Autour de nous, les attentats se déchaînaient dans l’Algérie sanglante de la fin. Avec lui, j’entrai de plain-pied dans la fureur du rock qui me délivrait des angoisses de l’adolescence commençante et des incertitudes du temps, alors que nos parents vacillaient sous le poids de l’avenir incertain.
Johnny n’était pas un plouc
Ma deuxième rencontre eut lieu à l’Olympia, pour l’anniversaire de mes 15 ans, concert que ma tante Odette – prise soudain d’un accès incongru de modernité – m’avait offert. Je n’oublierai jamais la chorégraphie pataude de Si vous cherchez la bagarre et la frénésie finale de I Got a Woman.
Ce soir-là, je pénétrai dans le monde nouveau du yé-yé, du cuir, et de l’Amérique fantasmée (sans oublier ma fascination devant ses exploits de gardian improbable dans D’où viens-tu Johnny ? qui fit rigoler la critique et me fit, moi, me précipiter pour acheter un pantalon gardian gris au liséré noir. Hélas, je n’en trouvai pas à ma taille, déjà un peu hors normes…).
La troisième et dernière se déroula dans les salons de l’hôtel Raphaël, un jour de septembre 1999 où je vins dresser son portrait pour Libération. J’avais emporté de haute lutte le privilège de l’interviewer contre une collègue, groupie non moins véhémente que moi au milieu d’une rédaction qui se gaussait de nos ferveurs de midinette. Rencontre mémorable, intime, loin du Johnny « ah que je… » caricaturée par la bien-pensance parisienne. Nous avons échangé quelques aperçus sur l’esprit « réac » dont le taxaient les intellos et autres antifas de l’époque, ses relations avec Chirac et Marchais. Inutile de dire que je revins à ma rédaction, fier comme un paon, m’échinant à prouver que Johnny n’était pas un plouc. Peine perdue. Seule ma collègue frustrée reçut avec ferveur mon récit qui, à mesure que je le déroulais, revêtit les couleurs d’une épopée. Depuis, nous partagions cet engouement comme des jeunes filles de pensionnat leurs amours secrètes.
Paris préfère Biolay…
Le directeur de rédaction de l’époque me déclara : « Si j’avais su que t’étais fan de Johnny Hallyday, jamais je ne t’aurais embauché… » Les directeurs passent, Johnny reste pour l’éternité.
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Je retrouve cet amour de notre idole chez les gens de ma génération. Les sexagénaires qui ont rompu avec le vieux monde de leurs parents. Dans les bistrots. Au stade. Ou chez Daniel Rondeau, fameux fan de Johnny, inattaquable (?) caution intellectuelle aux yeux des petits marquis qui se pâment devant Benjamin Biolay ou les borborygmes des rappeurs semi-incultes.
Le dépuceleur des sixties
Et je prétends que les déchaînements des « blousons noirs » du concert de la Nation du 22 juin 1963 ont ouvert la voie au monôme petit-bourgeois de mai 1968.
Salut les copains était ma Bible, l’idylle entre Johnny et Sylvie, mon Tristan et Iseut. Johnny m’a fait découvrir Bill Haley, Eddie Cochrane, Elvis Presley (ma deuxième idole), le blues, le rythm’n blues. Il m’a dépucelé des langueurs mièvres de la chanson française d’alors.
Comme des milliers d’autres fans, aujourd’hui, je suis orphelin. Il me reste Eddy Mitchell et Jacques Dutronc (ma troisième idole). Ne partez pas trop vite !
Johnny, tu es parti. Je retiens, jusqu’à mon dernier souffle, la nuit électrique du rock. Et des amours noires.
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