Comme le temps passe. Nous sommes en 2019, le 15 juin, et Johnny Hallyday aurait dû fêter ses 76 ans. 76 balais et la dégaine d’un biker revenu de tout sauf de l’amour, son pays réel. Récit d’une vie.
Le 51e album de Johnny s’est vendu à plus de 1 800 000 exemplaires, une performance hors normes. En 2018, il s’est classé 5e au niveau mondial, juste derrière Lady Gaga, et devant des stars internationales comme Ed Sheeran, Pink ou Eminem. Le Taulier reste le Taulier. C’est une bonne nouvelle depuis cette triste nuit du 5 décembre 2017 où il a quitté ce monde pour rejoindre son idole Elvis Presley et quelques autres, Johnny Cash, Jimi Hendrix, Buddy Holly, laissant ses Harley au garage.
La peur d’être abandonné
Tout a commencé par un abandon, celui de son père, Léon Smet. Le type était alcoolique, instable, coureur de femmes faciles, sans un sou en poche. Sa mère, Huguette Clerc, ne put s’occuper de lui, elle était mannequin-cabine. Jamais de « bonjour maman », aucun geste de tendresse. De la solitude à revendre pour ce beau gosse blond, aux yeux délavés par les larmes qu’il a toujours retenues, en serrant très fort les poings, timide avec les filles malgré sa gueule d’ange. Élevé par sa tante paternelle, Hélène Mar, ancienne star du cinéma muet, il a grandi avec ses cousines, danseuses de music-hall. À quatre ans, il a connu sa première tournée. Voilà, c’était parti, sans rien demander à personne, une vie de saltimbanque, jusqu’au bout de la route. Du sang yéniche, une population nomade de l’Europe de l’Est, coulait dans les veines de Léon. C’est l’unique héritage qu’il aura reçu de son géniteur.
Johnny a toujours vécu avec la peur d’être abandonné. C’est pour ça qu’il a compris, avec un instinct infaillible, la jeunesse des années 60. Ces ados étaient paumés dans un monde de technocrates qui n’avaient qu’une idée en tête : en faire des consommateurs effrénés. Plus d’idéaux, de rêves, d’envie de vivre debout. Des ados abandonnés par des adultes cyniques. Johnny n’a jamais combattu les époques qu’il a traversées. Il les a épousées, offrant à la jeunesse qui s’ennuie, puis aux enfants de cette jeunesse devenue rhumatisante, puis aux petits-enfants connectés, et ainsi de suite, il a offert ce qu’on lui avait refusé : un modèle, un confident, un pote. Ils sont devenus ses fans. Johnny leur a tout donné.
La vie au ralenti, c’était la mort immédiate
Le Taulier n’a pas calculé, ni rusé. Il y est allé avec ses tripes, sa voix, sa force de fauve blessé. Il a beaucoup observé, humé l’air du temps, bossé quand il le fallait, fait la fête parce que la vie au ralenti, c’était la mort immédiate. Il a retenu la nuit pour faire plaisir à son père spirituel, Charles Aznavour, mais il l’a toujours quittée avec soulagement, comme on quitte le train fantôme. Il a beaucoup bu, fumé, fait l’amour. Il a claqué son fric avant qu’il soit dans ses poches trouées, il a refusé les successeurs, il a laissé ses trois épouses faire le ménage chez ses copains métamorphosés en parasites. Il n’a pensé qu’à une seule chose : rester toujours en mouvement. Johnny a inventé le plus-que-présent.
Et puis, Johnny a rencontré Laeticia. La jeune femme, écorchée vive, a saisi la personnalité complexe du rocker. Ça n’a pas été facile entre eux, il y eu de l’amour et des trahisons. Mais la fille aux cheveux d’or est parvenue à calmer son « homme ». Elle l’a apaisé, lui a permis de vivre au sein d’une vraie famille, avec Jade et Joy. Elle a mis de l’ordre dans son bordel intérieur. Juste avant de mourir, dans une chanson bouleversante, Johnny lui a demandé pardon.
Harley et décharges d’adrénaline
Il y a, bien sûr, le Johnny qui rêvait de l’Amérique, une Amérique mythique qui n’a jamais vraiment existé, avec Marlon Brando, James Dean et le biker fou, Dennis Hopper, d’Easy Rider. Alors, comme Jack Kerouac, il veut tracer la route, bouffer de la poussière, respirer la liberté, cheveux au vent, épaules au soleil, rouler à fond. La route 66 lui apporte le remède pour chasser les angoisses, le mal de vivre logé au fond de la boite crânienne. Johnny a le cœur américain. Le bruit de la Harley lui offre ce que la France ne lui procure plus : les décharges d’adrénaline. La secousse sismique à réveiller un moribond. En avril 1974, il part sillonner les routes californiennes, avalant plus de 3500 kilomètres. Fatigué, il se sert de sa bécane comme d’un lit. Il oublie les courbatures, les trapèzes qui font un mal de chien, le bas du dos en compote, en regardant le bitume à perte de vue. Le décor est sublime. Il devient un vrai biker, respectant les lois des clubs de Harley, apprenant à rouler en meute. Il deviendra, à son tour, chef de bande, avec ses potes triés sur le volet. Il participera à trois road trips, sous le contrôle bienveillant de son complice Pierre Billon, un mec génial et d’une fidélité à toute épreuve. En 2016, Jojo ira au bout de ses forces, tordu de douleur, ne pouvant presque plus respirer. Mais il finira le road sur son Indian. À l’arrivée, le verdict tombe : cancer, stade 4. Mais il aura été fidèle à la devise de Dennis Hooper : « Vois le film, sois le film. »
Splendide et lucide
Quand Johnny est mort, je lisais un roman déjanté de Bret Easton Ellis, Glamorama. J’avais souligné cette phrase : « Plus t’es splendide, plus t’es lucide. » J’ai trouvé que ça collait à notre mythe français. Splendide, inutile de développer. Lucide, oui, car Johnny ne se faisait aucune illusion, ni sur les choses, ni sur les personnes. C’était, je le répète, un vrai solitaire, se protégeant avec ses silences, parfois très longs. Il méprisait l’argent, le temps, la mort. Sa légende, il s’en foutait. Les analyses de son succès le faisaient sourire, de ce sourire à la fois tendre et ironique. Il était devenu un mythe sans savoir pourquoi. Quand il chantait, il était bien. C’était l’essentiel.
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