John Wayne n’est pas mort. Et quand bien même il l’aurait été, Roland Jaccard l’aurait ressuscité (2/6).
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Diane Arnaud enseigne l’esthétique du cinéma à la fac. Elle nourrit une passion pour Ozu, mais ne connaît pas le livre de Luc Chomarat, Les dix meilleurs films de tous les temps. Elle jette un coup d’oreille rapide sur les pages concernant Ozu et se dit prête à les lire à haute voix à ses étudiants. Notamment ce passage : « Me voici assis par terre, en train d’expliquer à mon fils pourquoi les films d’Ozu sont les plus grands films de tous les temps. » Oui, pourquoi ?
Parce que ce sont des gens assis par terre qui se disent des trucs comme : « Et comment va ton père ? » Ou : « Il a fait vraiment très chaud aujourd’hui. » Parfois, ils mangent quelque chose. Tout ça en plan fixe.
« Tu penses quoi de Paul Verhoeven ? »
Nous aussi nous dinons dans un restaurant japonais. Soudain Diane me demande tout de go : « Tu penses quoi de Paul Verhoeven ? » La question tombe à pic. Jusqu’à hier, je n’en pensais rien. D’ailleurs, fallait-il en penser quelque chose ? Il a le sens de l’effet, tout le monde en convient. Mais est-ce suffisant ? Hier soir, par pur hasard, je vois : Showgirls (1995) et mon jugement bascule. Oui, il fait partie des grands : comment survivre dans un monde peuplé d’ordures ? Une question qu’on évite généralement. On préfère parler de la pluie et du beau temps, de la fille aînée qui ne veut pas se marier pour ne pas laisser son père seul. Ça c’est Ozu. Les actrices sont tellement sages dans ses films qu’elles en deviennent puissamment érotiques. Elizabeth Berkeley, le prototype de la garce dans : Showgirls est si vulgaire qu’elle devient presque aussi érotique que les héroïnes d’Ozu.
J’ai voulu savoir ce qu’était devenue Elizabeth Berkeley : personne ne se souvient plus d’elle. Elle approche de la cinquantaine : un sale temps pour les actrices. Elle a tout donné dans un film. Quand Showgirls est sorti, tout le monde l’a descendu. Les gens ne pardonnent ni l’excès, ni le mauvais goût, ni le sexe ouvertement affiché – même et surtout si au fond d’eux-mêmes, il n’y a que cela qui les attire. Alors ils disent préférer les films d’Ozu qui ont l’air si rassurants, si respectueux des conventions, si attachés aux valeurs familiales, ai-je dit à Diane. Mais bien sûr, c’est tout le contraire. Ce qu’on ne peut pas montrer, il faut le cacher. Tout est en pleine lumière chez Verhoeven, tout est dissimulé chez Ozu. D’où la question : faut-il mieux s’attendre à ce qu’on va voir – quitte à le mépriser ensuite – ou pénétrer insidieusement dans les relations tortueuses entre une fille et son père et s’en trouver bouleversé sans savoir pourquoi ?
Comment va ton père ?
Diane m’avait apporté son dernier livre : Glissements progressifs du réel (la couverture est alléchante). La conclusion, en quelques lignes, résume son propos. Elle cite Calderon (La vie est un songe) : « Dans ce monde, chacun rêve ce qu’il est, sans que personne s’en rende compte. » Depuis 1635, et c’est le mot de la fin, rien n’a changé, sauf si l’on se réveille au cinéma. Je soupçonne Diane d’être assez fière de ce tour de passe-passe. Plutôt que de la féliciter, je préfère, comme dans un film d’Ozu, lui demander comment va son père. Elle me répond : « Il aime les fabuleuses histoires sans lendemain. Il ne sait jamais au milieu de quel film il va se réveiller. » Son père pour elle, c’est John Wayne dans La prisonnière du désert. Nous nous resservons du saké. Oui, Le Goût du saké mérite de figurer dans la liste des dix meilleurs films de tous les temps. Luc Chomarat le certifie. Mais je me méfie, tant il est versatile. Et d’abord, a-t-il vu Showgirl ?
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