John Wayne, ce n’est pas seulement un Colt et un chapeau. C’est aussi un mépris, tout américain.
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L’effet K.
Oui, lui dis-je, l’effet K., désigne une célèbre expérience menée par le cinéaste Lev Koulechov à Moscou au début des années 1920. Koulechov présenta à ses élèves – il enseignait à l’Institut supérieur cinématographique – un montage où alternaient un plan de visage totalement inexpressif de l’acteur Ivan Mosjoukine avec successivement trois plans représentant une assiette de soupe sur une table, une femme morte gisant dans son cercueil et celui d’une fillette en train de jouer. Les spectateurs s’extasièrent alors sur le jeu de Mosjoukine qui exprimait si admirablement la joie, la tristesse et la tendresse. Preuve était faite de l’effet émotif du montage au cinéma.
Marie ne me parut pas convaincue.
– J’avais pourtant entendu dire que l’effet K., comme tu le nommes, résultait d’un comportementalisme assez primaire visant à éradiquer la tradition théâtrale russe et à substituer aux grimaces et à l’emphase de l’art tsariste une sobriété plus proche du peuple. Poudovkine l’a dit dans ses Mémoires…
Mutine, elle ajouta : « C’est cela que j’appelle approfondir ! ». J’en demeurai coi. Sentant qu’elle avait marqué un point, elle poursuivit : « Tu ne trouves pas curieux que le jeu des acteurs américains au cinéma est, lui aussi, fondé sur la sobriété, alors que le cinéma national fut lancé par deux transfuges du théâtre : Griffith et DeMille ? Tu devrais relire Luc Moullet qui dit des choses passionnantes sur le sujet… »
– Lesquelles ?
– Par exemple que les seuls acteurs à cabotiner vraiment dans les films de DeMille, ce sont des acteurs étrangers, comme Sessue Hayakawa, Théodore Kosloff et Charles Laughton qui interprètent tous des rôles de grands méchants. Il y a là un amalgame pervers entre le Mal, l’Etranger et l’overplay. Je veux bien admirer l’underplay de John Wayne, à condition que tu n’escamotes pas sa dimension xénophobe, voire raciste.
La discussion s’arrêta là. Un demi-siècle nous séparait. Et je ne tenais pas à passer pour un vieux schnock aux yeux d’une si ravissante donzelle. Mais je ne tenais pas non plus à lâcher mon John Wayne.
Clément Rosset sème le doute
Cela se passait chez Yushi. Mon ami Clément Rosset avait déjà vidé quelques flacons de saké. Je m’en tenais au whisky. La conversation s’échauffa dès lors que je lui fis part de ma passion pour le western. C’est peu dire qu’il ne la partageait pas : il éprouvait la plus vive aversion pour un genre qui, à l’en croire, encourage la bêtise et qui, sous couleur d’action et de vastes paysages, a toujours été l’occasion de nous faire avaler une potion empoisonnée.
– Laquelle ? demandai-je pendant qu’il finissait son saké.
– Je veux parler de la potion moralisante qui catéchise et infantilise le spectateur en imposant une distinction puérile entre bien et mal, juste et injuste, gentils et méchants…
Je rétorquai qu’on pouvait dire cela des trois quarts de la production cinématographique, mais il ne prêta aucune attention à mon objection et poursuivit sur sa lancée.
– Tiens, pas plus tard qu’avant-hier, je me suis résolu à regarder de bout en bout Rio Bravo de Howard Hawks. Hélas, j’ai dû une fois de plus abandonner le film en cours de route, écoeuré d’emblée par la bouille de John Wayne. Et pourtant, si j’en crois les historiens du cinéma Rio Bravo dépasse en puissance expressive les tragédies de Sophocle ou de Shakespeare.
En l’écoutant parler, je songeais qu’il ressemblait de plus en plus à Walter Brennan, le shérif adjoint alcoolique et malicieux de John Wayne. Nous parlâmes encore des écrits sur le cinéma de Gilles Deleuze qu’il trouve, tout comme moi, ennuyeux. Mais qui a au moins le mérite de ne pas mépriser le western. La soirée s’acheva sur un éloge de W.C. Fields et de sa célèbre réplique : « Un homme qui déteste les enfants et les animaux ne saurait être foncièrement mauvais. »
Sans doute est-il préférable de ne pas évoquer non plus John Wayne devant Michel Onfray. Dans Le jour le plus long (1962, produit par Zanuk et qui reconstitue le débarquement des Américains en Normandie, on y voit un John Wayne viril (« emblématique du conquérant américain », ajoute Onfray) faisant face à un Bourvil, maire de Colleville-sur-Orne, débile et dégingandé qui incarne la Résistance. Il arrive en vélo sur les lieux du Débarquement avec un casque de pompier sur la tête et une bouteille de champagne dont personne ne veut. Les Allemands au moins auraient eu la décence de se prêter à ce jeu et de vider leur coupe. John Wayne traite les Français comme les Indiens et sans doute n’est-il pas loin de penser qu’un bon Français est un Français mort.
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