Nidra Poller poursuit sa lecture du livre de John Bolton, où sont discutés les grands dossiers internationaux du mandat de Donald Trump : Moyen-Orient, Afghanistan, Venezuela, etc.
Retrouvez la première partie de l’article ici.
Dans un texte dense et détaillé de 570 pages, l’ancien NSA (Conseiller à la sécurité nationale), l’ambassadeur John Bolton, raconte les 17 mois passés au sein de l’administration du président Donald Trump. The Room Where it Happened, la pièce où tout s’est passé, est en fait le vaste monde où se déroulent les relations étrangères.
Pour qui voudrait étudier le phénomène Trump en dépassant l’aversion viscérale des uns et l’idolâtrie des autres, l’ouvrage de son ancien Conseiller John Bolton est une source précieuse d’information précise.
N.B. L’ouvrage est organisé par dossiers et non pas en ordre chronologique global. Les opinions exprimées ci-dessous, sauf attribution précise, sont de l’auteur du livre The Room Where it Happened.
Retraits et avancées
A son poste de NSA [Conseiller à la sécurité nationale], John Bolton aide le président à finaliser le retrait des accords inutiles, dont l’INF [Intermediate Nuclear Forces Treaty], systématiquement violé par la Russie, et le COP 21, qui n’aura pas plus d’effet dans le monde réel que d’égrener le chapelet. En revanche, Bolton tente de dissuader le président de compromettre la sécurité nationale en se retirant des régions en conflit.
Trump ne veut pas reconnaître le sérieux de l’ingérence russe dans les présidentielles de 2016, un « acte de guerre » selon Bolton, par crainte d’accréditer la thèse de collusion agitée par les Democrats. Trump se vante des sanctions imposées à la Russie—en réaction à l’annexion de la Crimée, à l’empoisonnement des Skirpals, aux cyberattaques, aux impairs en Syrie—qu’il avait acceptées à contrecœur. L’incohérence des rapports du président avec la Russie compliquait le travail de ses conseillers, qui ont fait, néanmoins, de leur mieux pour protéger les élections futures contre l’ingérence russe.
Syrie, Afghanistan : Trump court vers la sortie mais ne trouve pas la porte
« La guerre des Islamistes contre les USA a commencé longtemps avant le 11 septembre et se poursuivra encore longtemps …. » Donald Trump n’aimait pas les « guerres sans fin » au Moyen-Orient, à des milliers de kilomètres du territoire américain.
Pas de deal entre Trump, déterminé à faire libérer un pasteur américain détenu en Turquie, et Erdogan, qui veut protéger la Halkbank accusée d’une sérieuse violation des sanctions contre l’Iran. Frustré, Trump se fâche contre Erdogan, son « meilleur copain ». Sans surprise, c’est de courte durée. Bolton a beau expliquer qu’Erdogan est un islamiste qui soutient les Frères musulmans, finance Hezbollah et Hamas et déteste Israël, Trump n’a jamais voulu comprendre.
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Le président, impatient, ne trouve rien de mieux qu’un canal « gendres », le sien, Jared Kushner, prendra langue avec le Ministre des Finances turc, gendre d’Erdogan. [Secretary of State] Pompeo et [Secretary of the Treasury] Mnuchin pètent les plombs. Encore une fois, Trump veut mêler Kushner à des affaires qui dépassent ses « compétences ».
Il faudrait élaborer une stratégie face à une série d’attaques iraniennes—contre l’ambassade à Bagdad, le consulat à Basra, la zone kurde en Syrie—mais Trump ne veut que plier bagage et se sauver. Erdogan remet à Trump un memo rédigé par les avocats de la Halkbank. Il y jette un coup d’œil distrait, décide que la banque est innocente et promet de virer les « gens d’Obama » du tribunal chargé de l’enquête et de les remplacer par des fidèles qui donneront satisfaction.
Trump, convaincu qu’Erdogan s’occupera de Daesh, demande à ses conseillers de rédiger une déclaration de mission accomplie, on se retire. Cela pose un problème de conscience à Bolton. Abandonner les Kurdes, qui sont la vraie cible d’Erdogan, n’est pas seulement déloyal, cela enverrait un mauvais signal à d’autres alliés. Les conseillers doivent annoncer la décision aux membres de la coalition. Macron supplie Trump de tenir bon. Les Turcs, dit-il, attaqueront les Kurdes, pas Daesh. Trump le balaie d’un revers de main. L’ambassadeur israélien, Ron Dermer, déclare que c’est la pire journée qu’il a vécue depuis le début du mandat. Des législateurs Republicans, opposés à la trahison des vieux alliés kurdes, gardent le silence. Cette façon de cautionner la mauvaise politique étrangère dessert le pays et le parti.
Convoqué au Bureau Ovale, Bolton découvre Mattis devant Trump, qui dit de but en blanc : « Il s’en va. Je ne l’ai jamais apprécié. » Bien que sans regret pour « l’obstructionnisme » du Ministre de la Défense, Bolton est choqué par un va et vient du personnel sans précédent dans les administrations où il avait servi. Mattis dépose sur le bureau une lettre de démission… que Trump ne lit pas. Il demande à Erdogan simplement de ne pas attaquer les Kurdes ou les soldats américains et croit à la sincérité de sa promesse creuse. Lors d’u voyage en Israël, Bolton tente de rassurer les autorités d’une sorte de présence à distance, mais Trump campe sur sa position : sa base souhaite un retrait de la Syrie.
Le président passe trop de temps à suivre les médias, se ravise d’un moment à l’autre, « c’est comme si on gérait les relations internationales à l’intérieur d’un flipper ». Il s’en fout du vieux conflit entre les Turcs et les Kurdes, ne veut rien comprendre des Corées ni de la Syrie. Le retrait laisse les USA en position de faiblesse dans le nord-est de la Syrie. Bolton était déjà parti quand enfin tombe une bonne nouvelle : l’élimination d’Abu Bakr al-Baghdadi par un raid audacieux mené par le Pentagon et la CIA.
L’Afghanistan livré aux Talibans
Trump estimait à juste titre qu’il avait donné tous les moyens à Mattis d’en finir avec les Talibans. Mais Bolton tente d’expliquer au président que nous n‘avons pas provoqué ces « endless wars » et ne pouvons pas les terminer d’un coup de baguette magique. Nous ne sommes pas en Afghanistan, en Syrie, en Iraq pour leurs beaux yeux mais pour défendre les intérêts vitaux des USA. Pour Trump, l’Afghanistan c’est comme la Syrie : on n’a rien à y faire, c’est loin, la base veut qu’on se retire. Il se lance dans des tirades : on n’a rien à y gagner, plus on y reste plus c’est ma guerre, je n‘en veux pas. Laisse l’Afghanistan aux Russes. Il recommence : qu’est-ce qu’on fout à protéger la Corée du Sud de son voisin du nord ? Bolton tente d’expliquer qu’on ne peut pas laisser l’Afghanistan comme havre aux Talibans, tout en augmentant le danger d’une prise de pouvoir des terroristes au Pakistan … qui possède l’arme nucléaire. Et Trump de ronchonner, « 50 milliards par an ».
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A la question de savoir comment on va empêcher des attentats sur le territoire américain après le retrait, Trump répond : « On dira qu’on réduira le pays en poussière ». Bolton : « On l’a déjà dit ». Encore des réunions, encore des cris contre Mattis qui n’a rien fait et qui est en train de perdre, Trump veut se retirer aussi d’Irak, du Yémen, de Syrie. Kelly, exaspéré, dit à Bolton : « Trump ne pense qu’à lui-même ». Mattis commence, par dépit, à regrouper les militaires en quelques points, en préparation du retrait, Pompeo veut déclarer victoire et partir. Le débat tourne autour de ces positions pendant des mois.
Le chaos comme mode de vie
Bolton observe, après un mois au sein de l’administration, des dysfonctions à multiples niveaux. Trump démarre sa journée officielle à midi, ayant passé la matinée au téléphone. Lors des deux briefings hebdomadaires des Renseignements, il parle plus qu’il n’écoute… le plus souvent, hors sujet. Il est rancunier. Contre John McCain …même après la mort du sénateur. Contre Don McGahn, conseiller de la Maison Blanche, qui avait témoigné « correctement et honnêtement » dans l’enquête Mueller ; Trump annonce son départ par un tweet. Contre la Secretary of Homeland Security, Kirstjen Nielsen, qui n’arrive pas à stopper les caravanes d’immigrés en marche vers la frontière sud. Trump demande à Kushner de s’en occuper. Quand, exceptionnellement, son gendre décline, Trump lui dit de passer le dossier à Bolton, « il est super, il a de bonnes idées, il assure ». Lors d’une réunion houleuse où Kelly défend Nielsen, le président se déchaîne, Kelly sort en claquant la porte. Le général dit à Bolton et Pompeo : « J’ai commandé des hommes sur le champ de bataille. Je n’ai jamais eu à encaisser une merde pareille ». Pompeo de répondre avec un soupir : « Ça va être encore un numéro Trump / Jared / Ivanka ».
Venu en France pour commémorer le centenaire de l’armistice, Trump est de sale humeur. Mécontent des mauvais résultats des législatives de mi-mandat, empêché de faire la visite à Château Thierry Belleau Wood à cause du mauvais temps, harcelé de messages par l’équipe de la première dame qui se mêle à l’affaire Nielsen, et poursuivi par les rumeurs sur le départ de Mattis et Kelly. Le comble : Macron l’insulte discrètement dans son discours à l’Arc de Triomphe. Kelly raconte que Trump se plaignait sans arrêt pendant le voyage de retour. Un mois plus tard on annonce que Kelly sera remplacé par Mick Mulvaney qui, de l’avis de Pompeo, se soumettra à la volonté d’Ivanka et Jared. Kelly avait déconseillé au président de le remplacer par un béni-oui-oui … car il sera impeached. Stephanie Gresham, alors porte-parole, dénonce Kelly, « totalement inapte à gérer le génie de notre extraordinaire président ».
Occasion ratée : le Venezuela
Le régime Maduro, illégitime, soutenu par la Chine, la Russie, l’Iran et Cuba, détruit son pays et menace la sécurité des Etats-Unis. Une intervention salutaire serait possible, à condition de formuler une politique cohérente et déterminée. Trump en est incapable. Mi-août, il dit à Bolton de « faire le nécessaire ». Il veut une option militaire et l’annexion du Venezuela « parce qu’il fait partie des USA ». Bolton conseille plutôt de travailler avec l’opposition. Avec Pompeo ils élaborent une stratégie de soutien à l’opposant, Juan Guaidó, des négociations avec des militaires susceptibles de faire défection, des sanctions contre Cuba, le Nicaragua et Maduro lui-même.
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Soudain Trump demande la mainmise sur le pétrole et une déclaration de fidélité exclusive et absolue [à Trump] par Guaidó. Puis, il se ravise, voudrait organiser une réunion avec Maduro pour tout régler. A peine publiée, avec son accord, une déclaration de soutien à Guaidó, Trump décide que Maduro est fort et Guaidó un gamin. Puis, se désintéresse. Les Européens donnent à Maduro 8 jours pour appeler aux urnes. Fin janvier Trump parle avec Guaidó. Il l’encourage, mais ça traine. Maduro accuse Bolton nommément d’un complot d’assassinat. En coordination avec une opération d’aide humanitaire, Guaidó franchit brièvement la frontière mais n’arrive pas à rentrer. Il se déplace dans la région, à la recherche de soutien, rencontre Pence qui est impressionné, mais Trump décide que Guaidó ne fait pas le poids, et dit à Bolton de mettre la pédale douce. 11 mars, Pompeo ferme l’ambassade à Caracas. Trump dit qu’il veut des sanctions très fortes mais Mnuchin s’y oppose. Tout ce que Trump retient d’une réunion avec Fabiana Rosales, la femme de Guaidó, est qu’elle ne porte pas d’alliance et a l’air très jeune. L’absence d’alliance devient un leitmotiv. Le président commence à appeler Guaidó le Beto O’Rourke du Venezuela. Exemple type de son penchant pour la médisance. Rosales dit à Bolton que le régime doute de la crédibilité de la menace militaire mais redoute les tweets de Bolton. Fin avril, Pompeo lui dit que le Général Padrino, avec 300 militaires, est prêt à virer Maduro
Au point de bascule, l’entreprise commence à se défaire. Des erreurs tactiques de l’opposition, le manque de détermination de Trump et, cerise sur le gâteau, un coup de fil de Poutine qui jure que la Russie n’y est pour rien (en fait les Russes financent les Cubains qui soutiennent Maduro). Impasse et faillite d’une initiative américaine pour la bonne cause.
La suite : Nous ne sommes pas venus si loin pour partir avant la fin du film ! La Chine, encore Kim Jong Un, l’Iran, l’Ukraine, l’Afghanistan, la démission de John Bolton. Les parties 4 et 5 suivront.
La quatrième partie de l’article est disponible ici.
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