Pour la littérature, merci patronne ! Enfin libérée d’une terrible « emprise », Johanna Silva, l’ex-compagne et ex-attachée parlementaire du député gauchiste de la Somme publie L’Amour et la révolution (Textuel, 2024). Un récit politique et sentimental navrant.
Au siècle dernier, Maurice Blanchot s’est préoccupé de l’Écriture du désastre. En ce premier quart du vingt-et-unième siècle, c’est au désastre de l’écriture que contribue Johanna Silva.
L’écriture pratiquée comme une thérapie, stade ultime de « l’écriture de soi » sera bientôt considérée comme un genre littéraire à part entière ; ce que redoutait Flaubert est arrivé : l’écrit est devenu le réceptacle privilégié de « l’écume du cœur », « un déversoir à passion », « un pot de chambre un peu plus propre qu’une simple causerie ». Avec un récit autobiographique intitulé L’Amour et la révolution, l’ancienne « compagne de route » et « bras droit » de François Ruffin apporte une solide contribution à ce tout jeune style littéraire. Dans un texte dont l’indigence n’a d’égale que la puérilité, Johanna Silva revient sur cinq années d’une emprise amoureuse et politique dont elle triomphe par le truchement de l’écriture. Armée de ses seuls mots, « l’auteure » se lance dans la reconquête de soi pour mieux affirmer son néo-féminisme ; l’aventure commence : « Le jeudi 20 janvier 2022, après plus de trois ans sans pouvoir me débarrasser du boulet de tristesse et de doutes que je traînais depuis que j’avais quitté François, j’ai décidé d’écrire. Je me rends compte maintenant, sans jugement ni regret comme j’étais encore bloquée dans l’enfance (…) En écrivant (…) je cessais de me battre contre moi et j’ouvrais enfin les yeux. » On admet avoir été tenté de fermer les nôtres. Et puis, on a lu ces confidences. Consternantes dans la forme, elles n’en constituent pas moins un document édifiant pour comprendre une époque qui n’en finit pas de vriller.
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House of Cards en version ch’ti
Johanna Silva est diplômée de Sciences-Po Lille ; elle a 25 ans lorsqu’elle rencontre François Ruffin. À la manière d’une gamine naïve, la voilà qui s’embringue dans une relation amoureuse aussi vénéneuse que pathétique : « (…) je souffrais, mais c’était beau, c’était beau comme je l’aimais (…) Je nous imaginais Sartre et Beauvoir (…) Devant la première saison d’House of Cards, j’ai pensé à nous aussi (…) » L’amoureuse devient alors le factotum de l’homme politique : « maitresse d’ouvrage » au journal Fakir, productrice du film Merci Patron !, organisatrice de Nuit debout, attachée parlementaire, enfin. Grâces soient rendues au mouvement #MeToo qui dessille les yeux de la jeune femme sur la question de la domination : la pauvre enfant réalise la toxicité de l’atmosphère saturée de testostérone dans laquelle elle baigne jusqu’aux dents. La malheureuse en était même rendue à tolérer que « François » et ses acolytes virils la chambrent en l’appelant « la petite-bourgeoise. » Elle explique : « Cette culture de la vanne bien placée, des rires gras, des piques incessantes, ne faisait aucune place à un partage sincère d’émotions. » Elle ajoute: « Pour la première fois, je sentais la domination masculine (…) Le féminisme m’était entré dans le corps. »
Fête à neuneu: déposez votre cœur au vestiaire
Autre découverte majeure de l’ingénue : la politique exacerbe la violence intrinsèque à l’Homme. Pour survivre l’élite politique, blanche et masculine (Pourquoi d’ailleurs le préciser ?) sait dissimuler ses failles. Pourtant : « Le monstre, ce sont les partis, les syndicats, les organisations en tout genre – ou plutôt, leur bordel interne, leur défiance externe, les rapports de force entre les structures et au sein de chacun.e. Le monstre c’est ce qu’il y a de mesquin en nous et entre nous (…) » Du reste, il n’y a qu’à se souvenir de l’une des déclarations de Mélenchon : « On vient d’une école politique où l’on dépose son cœur à l’entrée. » Ce savoureux récit montre également l’installation du wokisme et de l’islamo-gauchisme dans le paysage politique et les esprits. Ainsi, après l’attentat du 7 janvier 2015, Johanna Silva déplore l’assignation à « être Charlie ». « S’installe le sentiment que désormais, on ne pourra plus jamais critiquer Charlie Hebdo et son acharnement un peu malsain contre les Musulmans, sous peine d’être accusé.e de complaisance avec les terroristes. » « Entre la tristesse, l’effroi, l’anticléricalisme et l’anti-islamophobie, le dégoût et le malaise face à la pensée unique, comment trouver la voie ? » s’interroge-t-elle. Il y aura ensuite Nuit debout : « Nuit debout était une nébuleuse terrible, aux mille initiatives impossibles à canaliser. » Les soirées festives, enrichissantes et fructueuses s’enchaînent. « Aussitôt le cul posé par terre je perds le fil, qui n’existe d’ailleurs pas, les prises de parole se succèdent sans rapport les unes avec les autres. » Elle précise : « (…) des bâtiments de fortune ont fleuri (…) Dans un coin, la commission Potager debout arrache des pavés du sol pour semer quelques graines, pendant que les Avocats debout conseillent gratuitement des gens en galère. » La fête à Neuneu bat son plein.
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Ruffin pas assez radical
François sera élu député en juin 2017 et Johanna Silva est toujours là, fidèle intendante. « Avec son élection les choses prirent un tour vraiment dérangeant. Dès les premières semaines, je dus m’occuper de sa déclaration d’intérêts et d’activités, ainsi que de sa déclaration de patrimoine. » « Je finis par connaître mieux que François sa propre situation administrative. Pourquoi alors ne pas me charger de déclarer ses impôts ? » La jeune femme, dont la conscience politique et féministe s’affirme, finit par porter un regard plus critique sur « François ». Elle le juge parfois trop timoré dans ses prises de position : « Sur les violences policières par exemple. C’est comme s’il ne lui était pas rentré dans le crâne qu’elles étaient le fait d’un système et non des bavures isolées. » Elle raconte : « Dans ma vie, la question du genre prenait de plus en plus de place (…) Le groupe de musique que nous avions créé l’année précédente, les Oiseaux n’était composé que de femmes (…) Sans l’avoir prévu ni même formulé, nous expérimentions les joies du groupe de parole non mixte. »
C’est après l’organisation, en mai 2018, d’une dernière manifestation, La Fête à Macron, que la jeune femme se décide à quitter définitivement le giron de « François ». « J’avais un nouveau cheval de bataille qui m’était propre : je voulais défendre l’humanité, la vulnérabilité, la bienveillance au sein du monde politique. Je sentais bien que ce n’était pas une niaiserie, qu’il y avait quelque chose à creuser. (…) J’en étais même venue à considérer mes pleurs intempestifs comme une arme. »
On ne sait pas si la politique s’en trouvera mieux mais, ce qu’il y a de sûr, c’est qu’un graphomane de plus nous est né !
« L’écrivain relève de l’ancien monde du jugement, du tri, de la discrimination, de la rareté. Le graphomane baigne dans le nouveau monde du marché, de la démocratie fatiguée, de la littérature comme art de masse et du droit à écrire. »
« Le graphomane est le gentil compagnon de route de la nouvelle civilisation. »
Philippe Muray, Ultima Necat VI, Journal intime 1996-1997
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