Pour l’anniversaire de la mort du chanteur en 1980, une exposition en ligne à découvrir.
Cela fait quarante ans que Joe Dassin a été terrassé par une crise cardiaque à Papeete. Mathieu Alterman, qui collabora au magazine Schnock, lui consacre une exposition en ligne. Il évoque cet homme « déraciné et tourmenté, prisonnier d’un personnage trop lisse pour lui », à travers une foule d’archives.
Joseph Ira Dassin naquit à New-York en 1938 dans une famille d’artistes juive ashkénaze. Son père était le réalisateur Jules Dassin et sa mère était violoniste. La famille a dû cependant fuir les États-Unis car Jules Dassin subit l’inquisition maccarthyste. S’ensuivit une errance à travers l’Europe qui a beaucoup marqué le chanteur au costume blanc. Toute sa vie il fut « entre » : entre la France et l’Amérique, entre le chanteur populaire de la France des années 70 et le docteur en anthropologie qui vénérait Brassens.
Personnalité kaléidoscopique
Mathieu Alterman explore cette personnalité kaléidoscopique, du crooner à l’homme perdu, en divisant sa carrière en cinq parties : le mélodiste, le song writer, l’Américain, l’Italien et le fantaisiste. Ce virtuose de la guitare, fan de blues et de folk, qui débuta sa carrière en 68, sur le tard à l’âge de 28 ans dans le registre comico-léger cowboy: « Les Dalton », fut aussi l’interprète de « Katy Cruel », traditionnel folk, magnifié des années auparavant par la chanteuse culte à la voix rauque et profonde Karen Dalton. Les Dalton se suivent et ne se ressemblent pas.
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À la fin de sa carrière en 80, en plein marasme personnel et artistique, il collabore avec Tony Joe White avec notamment « Le marché aux puces » où sur un texte de Claude Lemesle il interprète un blues crépusculaire, son meilleur morceau dit Mathieu Alterman. Il enregistre la version anglaise sous le titre « The guitar don’t lie » juste avant de mourir. La camarde, comme disait son cher Brassens le rattrapa au moment où il se permit enfin d’être lui-même sur le plan artistique.
Joe Dassin, l’Américain
Le song writer Joe Dassin est relativement méconnu même s’il composa des titres pour la lumineuse et sombre Marie Laforêt, et pour l’immense Serge Reggiani. Il livre d’ailleurs quelques années auparavant « Salut c’est encore moi » une adaptation de « E tu » de Toto Cutugno. Comme Reggiani dans « L’Italien », il interprète un homme brisé qui revient vers ses amours après des années d’absence. Mais si le grand Serge joue de manière bouleversante sur le pathos, Dassin est pudique. Résigné aussi : « Tu n’as plus rien à me dire/ Je ne suis qu’un souvenir/Peut-être pas trop mauvais ». La pudeur dans la tristesse, voilà qui qualifie Joe Dassin.
Il fallait aussi, à cette époque, coller à la légende américaine mais celle de Dassin était bien réelle, contrairement à Johnny. Il y eut beaucoup d’adaptations, elles sont à la fois populaires et exigeantes, ce que devrait être la variété. Sa version de « Ode to Billie Joe » de Bobby Gentry, « La Marie Jeanne », n’a rien à envier à l’originale, comme si la France profonde de ces années-là faisait parfaitement écho à l’Amérique des rednecks. « Salut les amoureux », une adaptation de « The city of New Orleans » de Arlo Guthrie est à la fois une des préférées du public et de l’underground de la chanson française. En effet, elle figure dans un album de reprises réalisé dans les années 90, consacré à cette icône de la variété, par des figures sulfureuses de la pop rock frenchy. De Daniel Darc en passant par la trop méconnue Louise Féron. Et l’intelligentsia s’aperçut que Joe Dassin c’était bien.
L’été indien ou les inconvénients d’un tube
Peu de gens savent que son tube interplanétaire « L’été indien » est une adaptation de « Africa » toujours de Toto Cutugno. Destinée d’abord à Cloclo, qui l’oublia, ce fut finalement Dassin qui l’enregistra. Angoissé comme toujours, il fit faire vingt prises alors que la deuxième était la bonne, et il en vendit 800 000. Extraordinaire coup de bol mais peut être aussi, à l’image de l’ « Aline » de Christophe, tube qui l’a trop longtemps cantonné dans les slows un tantinet dégoulinants, mais toujours sauvé par sa façon d’interpréter toute en délicatesse et retenue.
Mathieu Alterman a cette formule étonnante concernant le chanteur : « C’était un énorme dépressif, Daniel Darc à côté c’est Bézu ! » C’est peut-être pour cela qu’il multiplia les chansons fantaisistes, quelquefois un peu idiotes, et les duos avec Carlos dans les émissions des Carpentier. Pour conjurer le sort. Politesse du désespoir. Peut-être également la raison pour laquelle, lorsqu’il évoque son déracinement dans » Les chemins de Papa », c’est sur une musique sautillante pour farder la tragédie.
Cependant dans ce qui est à mon sens sa plus belle et relativement méconnue chanson « Tellement bu, tellement fumé », il se débarrasse de ses oripeaux. Dans ce morceau qui n’aurait pu être qu’une énième et banale évocation d’une désillusion amoureuse, il campe une ambiance sombre, déchirée par quelques éclaircies. Et c’est son absolu désespoir qui rejaillit. Comme s’il avait toujours eu « la vague impression que c’était foutu ».
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