Joe Bananas, le mafieux moraliste


Joe Bananas, le mafieux moraliste

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Les Parrains ont le sens de l’humour. On les interroge sur le crime organisé, ils répondent honneur familial. On fustige leur violence sans limite, ils préfèrent se réfugier derrière la morale sicilienne. On croit donc ouvrir un livre sur la guerre des gangs dans le volcan new-yorkais du XXème siècle, et on s’aperçoit que l’autobiographie de Joseph Bonanno dit « Joe Bananas » (1905-2002) lorgne plus du côté de Machiavel que de Coppola. Les amateurs de fusillades en seront pour leur frais. Les apprentis politiciens y trouveront, par contre, matière à asseoir leur pouvoir.

En clair, ce document inédit en français sera plus utile rue Saint-Guillaume qu’aux Baumettes. C’est à la fois un manuel de guerre, un précis de psychologie humaine et une réflexion sur l’usage de la force. Car celui qui prit la succession de Salvatore Maranzano en 1931 et inscrivit le nom de Bonanno au rang des cinq grandes familles du Milieu n’est pas un parrain comme les autres. Son respect de la Tradition et son érudition en font un cas d’école dans l’univers bariolé et fantoche des mafieux. Joe ne répugnait pas à la violence, elle est nécessaire, inévitable dans les « affaires » qu’il traitait, elle ne suffit pourtant pas à expliquer sa longévité. Pendant plus de vingt ans, il siégea à la Commission, le gouvernement de la mafia et devint une légende « noire» de la Grosse Pomme.

La manufacture de livres, éditeur entre autres de Lucky Luciano, Al Capone ou Zampa, a toujours la main heureuse pour déterrer des récits explosifs. Cette maison a constitué, au fil des années, un catalogue de la pègre sous toutes ses formes tout en soignant la qualité littéraire. Les livres de bandits repentis ou non souffrent trop souvent d’approximations stylistiques. A la Manufacture, les mots ont la percussion des balles et l’odeur de poudre, le parfum des bootleggers. Ce texte publié à l’origine en 1983 retrace l’ascension d’un garçon dans un monde opaque où les liens du sang et l’appât du gain ne favorisent guère la paix des ménages. C’est Eschylien comme aurait dit le regretté Albert Simonin. Dans ce remake d’Il était une fois en Amérique, Joe Bananas évoque ses souvenirs, ses amitiés et surtout ses emmerdes. Une fois dans le viseur du FBI, il dût faire preuve d’une ingéniosité sans relâche pour éviter un trop grand nombre d’années au placard.

Les pages consacrées à sa Sicile natale et à l’époque fantasque de la Prohibition sont des témoignages précieux sur les rêves contradictoires des immigrés. Une lutte intérieure se met en place entre les aspirations du Nouveau monde et l’attachement sentimental à l’Ancien. Un conflit autrement plus dévastateur que les coups de feu, les risques du métier tout au plus. Si Joe Bananas est discret sur la source de ses profits (le racket et les paris clandestins réinvestis dans les activités légales comme le textile ou l’agro-alimentaire), il l’est moins sur sa conception de l’honneur. « Les hommes de ma Tradition ont toujours considéré la richesse comme un des sous-produits du pouvoir. Ils ne conduisent pas des affaires, mais des hommes » écrit-il. Au-dessus de tout, il place la sacro-sainte famille. Joe Bananas explique que « le parrain est tout à la fois un symbole, un arbitre, un conciliateur, un juge, un diplomate, un chef ». Padre Joe est resté toute sa vie un traditionaliste, il a combattu les modernes, les tenants de l’américanisation à l’instar de Luciano. Selon lui, la chute de Lucky résulte de cet éloignement aux racines : « sans une Tradition pour le guider, il avait basé  son système de valeurs sur la plus primitive de toutes : l’argent. Dans son vocabulaire, les mots « bénéfice » et « consortium » avaient plus de réalité que « confiance » et « honneur ».  La messe est dite.

Homme d’honneur – Autobiographie de Joseph Bonanno – La manufacture de livres.

Un homme d'honneur

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*Photo : deviant art.



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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