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Éloge de la garce

« Dame Joan Collins – Une actrice glamour mais sans fard », sur Arte


Éloge de la garce
L'actrice britannique Joan Collins photographiée à Paris en décembre 2007 © Jens Hartmann / Rex Fea/REX/SIPA

À 90 ans, l’actrice Joan Collins, « la femme la plus détestée de la télévision » des années 1980, n’a rien perdu de son humour ravageur dans un portrait visible tout l’été sur Arte.tv


Attention les yeux ! Éloignez les enfants et les démagos ! La hantise des wokistes avance, avec superbe et impertinence, elle va dérégler votre système mental. Elle abat ses cartes en une saillie qui résume son don pour la comédie, son goût pour le luxe et son sens du divertissement : « Je ne vois rien de mal à être belle, glamour, bien habillée, bien soignée ou sexuellement attirante ». Cette actrice-là, piquante et érogène, sans aucun tabou et sans filet, balance des répliques sur et en-dehors des plateaux avec l’assurance d’une reine carnassière. Son égo est un Everest, à la fois délectable et inatteignable. Joan Collins parle librement et ouvertement, avec un humour désopilant d’irrévérence, ne refusant jamais les questions indiscrètes, ne se contentant pas des habituels éléments de langage, jouant son emploi de garce éternelle à merveille, avec une forme de jubilation communicative, dans un documentaire signé de la réalisatrice Clare Beavan et tourné en 2022 (disponible gratuitement sur le site d’Arte). Quelle douche ! Quelle fantasia ! Quel ball-trap ! Quel carton ! Quelle musique ! Elle touche dans le mille à chaque fois. Quel plaisir surtout, pour une fois, d’entendre une comédienne, star d’un Hollywood finissant et héroïne planétaire du petit écran qui vient de fêter ses 90 ans le mois dernier, s’exprimer sans les consignes de sécurité actuelles, sans l’épaisse couche de moraline, sans l’insupportable langue de bois érigée en totem d’impunité par un métier qui a peur de son ombre. Joan, féministe XXL, expression suprême de la quadra bombastique, portant le bikini sans fausse pudeur, se lâche avec gourmandise dès qu’une caméra s’allume sur son visage, elle ne peut se retenir, c’est drôle, intelligent, provocateur, perfide, vif, cruel et définitif, il faudra qu’un jour, un éditeur pense à publier ses aphorismes. Il fera fortune. Nous sommes entre Guitry et « AB FAB », comme si Noël Coward avait plongé ses dramatiques dans une piscine bleu métallique de Beverly Hills. Les propos de la Londonienne de naissance, Californienne d’adoption sont tellement brillants et assénés avec un sourire et un style époustouflant que la Royal Academy devrait élever une chaire en son honneur. « The Bitch » (1979) a été bien évidemment anoblie, la couronne britannique sait reconnaître ses meilleurs interprètes. Le chemin fut pourtant mouvementé, des péplums de Cinecittà à la couverture de Playboy, des panouilles aux rôles plus conséquents, de l’ingénue au « girl power ». Joan a tenté de survivre médiatiquement dans une profession versatile et foncièrement injuste. Rien ne lui aura été épargné, les propositions indécentes, les mariages ratés, les procès, les cachets astronomiques et les faillites retentissantes. Elle aura été jusqu’à refuser la « promotion canapé » et les assauts répétés du président de la Fox. Bilan, elle n’était pas au générique de Cléopâtre, malgré des essais concluants en 1959. Plus tard, dans une interview, Joan s’expliquera à sa manière, c’est-à-dire avec esprit et une distance ironique, qu’elle préférait plutôt coucher avec des hommes plus jeunes. Warren Beatty s’en souvient encore. Joan n’est pas dupe de son physique vendeur, il sera son capital sympathie, ni de la fragilité d’une carrière soumise aux modes. Dans son enfance, elle avait pour modèles, des filles comme Hedy Lamarr, les légendes de l’Âge d’or des studios. Elle collait les photos découpées dans la presse magazine et les compilait dans un gros album qu’elle conserve encore aujourd’hui pieusement. Joan sait mieux que personne ce que sont les illusions de la gloire et le prix à payer pour rester dans la lumière. D’autres se morfondraient, en voudraient à la terre entière, tomberaient en dépression, Joan n’a pas vocation à devenir la mascotte des tortionnaires. Elle pointe son regard dans votre direction et vous êtes cuit ! Cet aplomb qu’elle a inventé, mélange d’érotisme clinquant et de froideur délicieuse, on le retrouve dans son alter-ego, la sulfureuse Alexis Carrington de la série « Dynasty » au début des années 1980. Quand elle débarque en saison 2, le feuilleton broute comme une vieille Corvair sur une highway et n’obtient pas le succès d’audience escompté. Il lui manquait une vedette charismatique, une méchante fascinante, une stratège maquillée et permanentée, atrocement libre et désirable. J. R Ewing était battu !


Dame Joan Collins – Une actrice glamour mais sans fard – documentaire de Clare Beavan – Sur Arte




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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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