Les Jeux olympiques n’ont pas créé l’exploit sportif


Les Jeux olympiques n’ont pas créé l’exploit sportif
La Grande armée. Wikipedia.
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La Grande armée. Wikipedia.

Ce 31 août 1904, bien qu’arrivé deuxième, Tom J. Hicks remporta le marathon aux Jeux olympiques de Saint-Louis, aux Etats-Unis, son concurrent Fred Lorz se voyant disqualifié pour avoir fait une partie du circuit en voiture. Mais le vainqueur fut loin d’être exemplaire. Épuisé par une chaleur et un taux d’humidité asphyxiants, Hicks se rendit coupable de dopage en ingérant, pendant l’épreuve même, sulfate de strychnine, blancs d’œuf et… cognac. Un recours, regrettable, à un cocktail expérimental (!) qui ne remet cependant guère en cause, ici, le dépassement de soi.

Depuis la naissance du sport moderne au début du XXe siècle, nous vibrons devant ces « exploits » et admirons les athlètes qui les réalisent et finalement nous inspirent. Mais en d’autres temps, d’autres lieux et surtout d’autres circonstances, des hommes sortis de leur quotidien ont dépassé leurs limites physiques et psychologiques. Les soldats de Napoléon ne dédaignèrent pas un peu d’eau de vie. L’usage de tels breuvages de courage avant de s’engager sur les champs de bataille est connu, mais il leur permit aussi d’avaler de nombreux kilomètres à travers l’Europe. Car l’Empereur gagna ses campagnes tout autant grâce à ses qualités de stratège et aux vertus guerrières de ses hommes, qu’à la constance de ces derniers à marcher des heures durant, pour rejoindre les lieux d’affrontement : déplacer rapidement une grande masse d’hommes, pour surprendre l’ennemi et combattre en nombre, était un véritable enjeu. Assurer de bonnes conditions à ces efforts en était un autre.

Des kilomètres à pied, ça use…

Les soldats nouvellement incorporés dans les armées napoléoniennes, même habitués à de rudes travaux physiques dans leur vie civile, allaient devoir se former à la marche militaire, au rythme réglementaire de trois à quatre kilomètres par heure, jusqu’à douze heures d’affilée, des haltes étant préconisées toutes les heures et demie, et les repos d’étape tous les quatre à six jours. Chaussés d’une paire de souliers de mauvais cuir et dont les pieds droit et gauche étaient indifférenciés, ils étaient lourdement chargés d’un barda de vingt-cinq à trente kilogrammes sciant les épaules, blessant le dos, et revêtus d’uniformes mal coupés, en draps de laine de mauvaise qualité, séchant mal une fois trempés. Au fil du temps et des lieues, à défaut de pouvoir compter sur les approvisionnements réglementaires (les chaussures devaient servir trois ans ou mille kilomètres), les hommes durent faire preuve d’inventivité, pour adapter la pointure générale des chaussures (il n’existait que trois tailles) à leurs pieds, remplacer la semelle déchirée par du carton ou tout autre matériau, et protéger leurs pieds nus sans chaussettes, notamment avec un mélange d’eau de vie (encore elle) et de jaunes d’œufs. Leurs corps mis à mal par ces marches interminables, certains soldats se seraient résolus, le soir, à se frictionner les jambes avec un peu de leur ration… d’eau de vie, bien inutile cependant quand ils souffraient de fracture de fatigue. Après quinze ans de service, les plus chanceux auraient parcouru plusieurs milliers de kilomètres. L’idée courrait dans les rangs, développée dans un petit écrit de propagande qui vantait en 1805 La vie du soldat français, que « Les soldats français vont si vite, qu’ils n’ont pas le temps d’être tués. L’Empereur a trouvé une nouvelle méthode pour faire la guerre ; il ne se sert que de nos jambes, et pas de nos baïonnettes… Désormais les soldats français sont éternels, et l’on ira à l’armée pour sa santé.  »

Les jambes étaient examinées avec attention lors des visites médicales validant l’incorporation des nouveaux soldats. Près de 2,5 millions d’hommes furent enrôlés dans les armées napoléoniennes, suivant le mode de la conscription, établie par la loi du 19 fructidor an VI (15 septembre 1798) : « la conscription militaire comprend tous les Français depuis l’âge de vingt ans accomplis jusqu’à celui de vingt-cinq ans révolus. (…) En sont exemptés les hommes mariés, ou veufs avec enfants. » Lors des visites médicales, les hommes dont la taille était inférieure à 1,598 mètre étaient les premiers écartés. Mais, la majorité des Français étant petits, la taille minimum requise fut abaissée en 1804 à 1,544 mètre. Les cas d’exemption pour raisons médicales étaient nombreux, certains évidents comme la privation de la vue, la surdité ou la perte d’un membre, d’autres circonstanciés comme l’absence de canines ou d’incisives empêchant de déchirer les cartouches ou celle de l’index droit. En contractant un mariage arrangé, en entretenant une mauvaise plaie, voire en se mutilant, certains tentaient d’échapper à la guerre. Étaient écartés également, ceux aux jambes de mauvaise conformité, tordues ou marquées par des varices. Aussi, pas de variqueux au service de Napoléon !

70% des veinotoniques consommés en France

Cette sélection semblerait avoir eu des répercussions, inattendues, jusqu’à nos jours. En 1999, une étude était commandée par l’Observatoire National des Prescriptions et Consommations des Médicaments, pour comprendre la consommation importante de veinotoniques en France. En 1997, ces derniers représentaient 3,8 % des ventes de spécialités remboursables, soit près de 3 milliards de francs en 1997 (prix fabricant hors taxe), ce qui correspondait à un coût d’environ 1,6 milliard de francs pour les régimes d’assurance maladie. Et la France constituait alors 70 % du marché mondial. Des études révélaient par ailleurs le caractère héréditaire des insuffisances veineuses, touchant les femmes comme les hommes. Au détour de son ouvrage sur des Histoires insolites qui ont fait la médecine, le professeur Jean-Noël Fabiani nous rapporte une hypothèse historique sur cette particularité française : les critères de sélection des soldats de Napoléon, laissant retourner à leur vie civile, travailler et fonder une famille, des hommes aux jambes défaillantes, pourraient être à l’origine de cette évolution. Un héritage qui peut compliquer la pratique de millions de Français de plus en plus adeptes de la course à pied : suivant une étude commandée en 2016 par la Fédération française d’athlétisme, 12,5 millions de coureurs ont pratiqué chaque semaine en 2015. Ça promet…



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