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Jeux de rôles, jeux pas drôles


Jeux de rôles, jeux pas drôles
Le PS et l'UMP vont-ils réussir à réveiller Le Pen ?
Jean-Marie Le Pen
Le PS et l'UMP vont-ils réussir à réveiller Le Pen ?

Il y a quelque chose d’assez bizarre dans la tournure prise par le débat politique en cette fin novembre. Je ne vous refais pas le résumé du recentrage « identitaire » de l’UMP après les affres de l’EPAD − qu’on pourrait plus raisonnablement qualifier de « redroitage ». Mais j’avoue avoir été surpris par la façon dont l’intelligente Martine Aubry a choisi, plutôt que de botter en touche, de foncer sur la muleta sarkozyste en lançant un plaidoyer vibrant pour l’adoption homosexuelle et la régularisation massive des sans-papiers. Qu’elle y soit réellement favorable (ce dont je ne suis absolument pas convaincu), passe encore. Mais qu’elle choisisse délibérément de jouer sur le terrain de l’adversaire m’a surpris. Et pire, obligé à réfléchir un samedi.

Car il est bien évident que ces thématiques n’ont rien de très innocentes. Le président, tout comme Martine Aubry, ont choisi de danser le menuet en plein dans la zone de chalandise du Front national. Or, rien ne les obligeait à ressortir ce semi-cadavre du placard.

Quand Sarko déroule son Grand emprunt, quand Martine cartonne la privatisation de la Poste, on n’entend ni Le Pen, ni Marine. Et pour cause, même si leurs porte-cotons sont astreints à pondre un communiqué de pure forme sur l’une ou l’autre de ces questions, tout le monde sent bien que Le Pen père et fille s’en contrefichent. Et ils ont bien raison. On est trop loin de leur cœur de métier. Quand le débat public du moment tourne autour de la grippe A, du PDG d’EDF ou de la loi Hadopi, n’attendez pas d’envolée lyrique du père ni d’uppercut de sa bras droite : faut pas gâcher la marchandise !

[access capability= »lire_inedits »]On ne pourra donc que s’interroger sur l’urgence qu’il y avait pour la droite et la gauche à entamer ce qu’il faut bien appeler un pas de deux pour dérouler, de concert, le tapis bleu-blanc-rouge au FN. La première hypothèse est tactique : Sarkozy fonce tête baissée sur les zones de faiblesse des socialistes, celles où il sait que Martine Aubry, nolens volens, est obligée d’être en pilote automatique sous peine de désespérer son électorat boboïde, mais aussi − et c’est plus nouveau −, sous peine d’accroître les dissensions internes dans la direction du PS, où certains ne seraient pas déçus d’aller se refaire une santé chez les Verts, au cas où le Parti montrerait des signes de faiblesse dans le recours rituel à l’hystérie sociétaliste. La manœuvre a d’ailleurs déjà fait ses preuves pas plus tard qu’il y a six mois : pousser Martine Aubry à entonner derechef ces trémolos-là, c’est l’obliger à rejouer l’opéra-bouffe du Zénith des libertés d’avril, dont le dernier acte s’est joué le 7 juin à 20 heures avec l’annonce du résultat des européennes.

Toujours dans cette optique politico-politicienne, on peut raisonnablement penser qu’en face, le PS a une petite idée derrière la tête quand il relance aussi brutalement le débat sur les thèmes les plus épidermiquement insupportables aux réacs old school, comme l’adoption homo. Des thèmes choisis tout exprès parce que la droite de gouvernement ne peut ou ne souhaite pas surenchérir par crainte panique de la ringardisation, surtout après son gros cafouillage interne dans l’affaire Frédéric Mitterrand. Résultat de la manip : le PS chauffe à blanc la fraction droitière de l’électorat UMP, celle-ci ne trouve pas suffisamment de répondant dans son bercail respectable, trépigne, s’énerve puis se lâche et vote finalement lepéniste aux régionales : ça se tient.

Bref, on fait joujou. Au jour le jour, ces deux lignes de conduite ne sont pas inintéressantes. Celui des deux qui gardera le mieux son cap augmente sérieusement ses chances de jouer un mauvais tour à l’autre le 14 et surtout le 21 mars 2010.

Mais ce petit jeu de croche-pied réciproque auquel se livrent majorité et opposition présente un défaut majeur : sa gestuelle date de vingt ou vingt-cinq ans, les Français finissent par la connaître par cœur : ça commence à se voir, se savoir, et un peu trop. Même si, sur le coup, l’électeur est dupe, la petite musique du déjà-vu s’instille dans ses synapses, s’installe, et finit par créer des lésions irréversibles. À la fin, on peut lui dire tout ce qu’on veut, y compris des trucs sur lesquels il est d’accord à 100 %, l’électeur s’en fout : il n’écoute plus les paroles mais seulement la musique, et sait qu’il l’a déjà entendue, trop, beaucoup trop. A la fin, eh bien, heu… c’est fini, c’est physique, c’est le rejet.

À moyen terme donc, le plus dangereux, dans tout ça, pour nos deux partenaires de jeu, c’est le syndrome convergent et récurrent de répétition.

Celui qui gagnera l’élection présidentielle, puisqu’au fond, on se fout de tout le reste, sous la Ve, c’est celui qui fait le plus rêver. C’est dans son code génétique depuis le de Gaulle ex machina du 13 mai 1958. Ça a marché à fond avec Mitterrand en 1981. Ça l’a refait avec Chirac starring Emmanuel Todd en 1995. Ça a failli marcher il y a trois ans pour Bayrou (dans le même registre, on décrétera donc, penauds, mais pas repentants, que ça a failli failli marcher pour Chevènement en 2002). Et bien sûr, ça a marché pour Sarkozy en 2007. Souvenez-vous : la croissance avec les dents, les voyous karchérisés, la feuille de paye, tout ça, tout ça. Souvenez-vous du lutin tout feu tout flamme qui, au sens le plus strict du terme, incarnait, là encore physiquement, ce corpus onirique. Une bonne part de ceux qui y ont cru n’ont pas lu son programme sur ses lèvres mais dans ses yeux. Vifs. Après douze ans de coma chiraquien, ça allait pulser ! Le rêve. Le plus drôle, dans cette confrontation, c’est qu’à sa façon, Ségolène s’est située très exactement dans le même registre onirique, comme s’il y avait un accord tacite entre les deux joueurs. Certes, elle opposait du doux au dur, du flou au concret, etc. Mais elle jouait scrupuleusement dans le même registre que son adversaire, de même qu’aux échecs les blancs et les noirs jouent la même partie. Ce n’était pas un second tour, mais un concours d’hypnose, dont chacun a respecté scrupuleusement les règles jusqu’au bout, et même après la fin du match quand la vaincue a promis aux siens de les emmener « vers de nouvelles victoires ». Tout était donc très codé, très « joué », voire surjoué, mais en tous les cas, la pièce était bonne : moi, je me suis bien amusé. Las, je crois qu’on est mal parti pour se marrer pareil en 2012.

Car cette non-relance idéologique, concomitante, à mi-mandat, augure du pire. Ce programme commun gauche/droite pour cantonner la partie dans des règles strictement délimitées fait furieusement penser à ces 0-0 arrangés à l’avance entre entraîneurs rusés de Ligue 1. Ou, pour celles que les références footistisques énervent, à la « drôle de guerre ». La faute à qui ? Et bien ni au président, ni à son opposante numéro 1. Eux, ils ont le nez dans le guidon, ils bossent, beaucoup, et plutôt bien. Ce qui nous renvoie à une deuxième hypothèse.

Pour une fois, je crois que les principaux intéressés ne sont pas coupables, enfin, pas directement. Je crois qu’il faut chercher la responsabilité du côté des seconds couteaux (la garde rapprochée) voire des troisièmes (les think tank, les communicants, les intellos maison). Jusque-là, ils brillaient seulement par leur manque d’imagination. Aujourd’hui, en plus, ils sont manifestement corsetés par des chocottes en acier trempé, tous paralysés à l’idée d’aller s’aventurer en terrain idéologique inconnu et de risquer la boulette qui les enverra aux oubliettes. Et c’est pourquoi le sarkozysme a perdu de son charme, et que les socialistes se contentent de renvoyer des balles molles. Jeu dangereux ? Peut-être, peut-être pas, mais à coup sûr, jeu ennuyeux. On s’emmerde !

Après tout, on pourra se dire que tout cela n’est pas bien grave, qu’on a appris à vivre avec nos écrivains, nos chanteurs, nos scénaristes et même nos footballeurs qui, presque tous, ont pour métier de manquer d’imagination. On ne voit pas pourquoi les politiques et leurs dealers d’idées échapperaient à cette malédiction.[/access]

Décembre 2009 · N° 18

Article extrait du Magazine Causeur



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