En marge d’une polémique déclenchée par l’écrivain Edouard Louis, l’ancien Haut-commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté, Martin Hirsch, a laissé entendre que les jeux d’argent orchestrés par l’Etat étaient un impôt sur la pauvreté. Il n’en est rien, et l’Etat ne fait presque rien pour lutter contre l’addiction.
Pour parler des jeux d’argent, il faut, bizarrement, parler d’abord de l’écrivain Édouard Louis, qui a publié en mai dernier son dernier ouvrage : Qui a tué mon père. Dans ce livre comme dans tout ce qu’il entreprend, Édouard Louis trace à sa façon le sillon de la lutte des classes et parmi les meurtriers – symboliques – de son prolo de papa, il cite notamment Martin Hirsch, l’inventeur du RSA.
Martin Hirsch, qui semble ne pas être homme à se faire soupçonner de « meurtre » sans mot dire, répond à Édouard Louis en février dernier, en publiant un livre : Comment j’ai tué son père. Avant même de s’intéresser au propos, on accordera aux deux auteurs un incontestable talent pour faire tourner l’industrie du livre et intéresser les médias.
L’impôt que les Français ne contestent pas
C’est dans ce cadre que Martin Hirsch fut l’invité de plusieurs émissions de radio et de télévision ces dernières semaines, la sortie de son livre étant un prétexte tout trouvé pour parler de ce qu’il connait bien : la pauvreté et l’exclusion sociale. En marge de son discours, Martin Hirsch fustige les jeux d’argent qu’il assimile à un cynique impôt sur la pauvreté orchestré par un État non moins cynique. Dans son viseur, les jeux à gratter de la Française des Jeux, leurs affiches d’annonces de gains mirobolants collées sur les vitrines des bistrots, ou encore l’impayable Amigo qui, à un rythme effréné, fait les poches des piliers de bistrots alternant paris de loterie et ballons de blanc.
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L’indignation de Martin Hirsch sur ce sujet m’a fait sourire. Psychologue clinicien spécialiste de l’addiction au jeu, j’ai noté dans mon livre C’est mon jour de chance – Addiction au jeu et fausses croyances que l’ambivalence de l’État sur la question des jeux, un œil sur la protection des joueurs et l’autre sur les finances publiques, ne date pas d’hier. Dès le règne de Louis XIII, on relève la création d’une loterie destinée à emplir les caisses tandis que le jeu fait l’objet de prohibition sous la pression de l’Église.
L’impôt sur l’infortune
L’indignation sans doute sincère de Martin Hirsch amène toutefois quelques remarques.
La première, concerne l’expression « impôt sur la pauvreté », qui semble exprimer que le jeu d’argent serait le lot des pauvres et l’exploitation d’une pauvreté qui induirait l’appât du gain au jeu pour en finir avec les fins de mois difficiles. Tout cela est parfaitement erroné et s’il y a bien une activité qui réunit les pauvres et les riches, c’est bien le jeu d’argent. Il est évidemment indéniable que le pauvre est plus rapide à plumer et que la perte a des conséquences bien plus dramatiques pour lui que pour le joueur aisé, mais considérer le jeu comme un impôt sur la pauvreté est une facilité un peu démagogique.
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Et puis, si l’on parle du jeu, il faut distinguer le type de jeu et d’opérateurs. Il y a le jeu qui a une dimension de loisir, comme au casino ou à l’hippodrome et comme, dans une certaine mesure, les paris sportifs. Il y a des opérateurs qui, par leur activité, entretiennent une filière : filière touristique ou de loisirs pour les casinos, filière hippique pour le PMU, tandis que d’autres opérateurs ne se concentrent que sur leur seule prospérité. En d’autres termes, il y a la Française des Jeux et les autres.
Le bon élève suisse…
Mais la Française des Jeux n’est que l’expression la plus visible du cynisme de l’État concernant le jeu. Pour trouver un peu de cohérence et d’éthique dans les rapports entre puissance publique et jeux d’argent, il faut faire un détour par la Suisse. Les Suisses ont autorisé les casinos à partir de l’année 2000, avec l’objectif affiché de créer une source de financement supplémentaire à leur système de santé publique. C’est ainsi que, dès l’ouverture des casinos, l’État a imposé des règles très strictes en matière de prévention et de prise en charge de l’addiction au jeu. Ces mesures qui portent le nom éloquent de « concept social », nous paraissent à nous, Français, très intrusives et très attentatoires à la vie privée mais elles n’ont qu’un seul but revendiqué : que l’activité de jeu, destinée à financer le système de santé, ne créée par un problème de santé publique avec l’addiction au jeu. D’ailleurs, l’administration suisse suit et mesure régulièrement le taux de personnes en situation d’addiction au jeu.
…et le vicieux professeur français
En France, rien n’a changé depuis Louis XIII et rien de véritablement sérieux n’est mis en œuvre pour prévenir et lutter contre l’addiction au jeu. Il en va de cette question comme de la prévention de l’alcoolisme. Récemment, le ministre de l’Agriculture déclarait que le vin n’était pas un alcool comme les autres, déclenchant les foudres des alcoologues et sans doute de bien des malades en soin, illustrant ainsi l’équation impossible consistant à avoir un œil sur la lutte contre l’alcoolisme et l’autre sur la filière et la culture viticoles françaises.
Martin Hirsch s’est sans doute un peu trompé de cible en parlant du jeu d’argent comme d’un impôt sur la pauvreté. C’est plutôt à la longue tradition d’ambivalence et de contradiction de l’État au sujet des jeux qu’il faudrait s’attaquer. C’est peut-être trop demander à un pays dont l’un de ses Premiers ministres déclarait il y a quelques années qu’il était à la tête d’un État en faillite.
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