Retour à la nature en mode écolo-croissance zéro et résistance à l’État policier : avec son parfum prononcé de revival des héroïques années 1970, la bataille de Sivens a réveillé la nostalgie des éternels révolutionnaires, tout attendris par les faits d’armes de leurs héritiers présomptifs. Après la mort dramatique de Rémi Fraisse, l’attendrissement se mue en exaltation. Sous la plume lyrique d’Edwy Plenel, les zadistes ont les traits éternels d’Antigone, « désordre vivant » résistant à un « ordre mort », ici représenté par Manuel Valls. « Qu’avez-vous fait de la jeunesse ?, lance le patron de Mediapart, à l’adresse du président de la République. Cette jeunesse qu’en 2006 vous brandissiez en alliée naturelle face à la droite conservatrice, à raison de ses lucidités. » On s’en voudrait de casser l’ambiance en suggérant que quelques dizaines de zadistes sont peut-être moins représentatifs de « la jeunesse » que les 30 % de 18-35 ans qui votent Front national ou encore que les milliers de jeunes cathos entrés en politique avec les « Manifs pour tous ». Seulement, ces faux jeunes, Plenel ne les aime pas. Et quand il n’aime pas, il ne compte pas.
Face à « un ordre injuste qui met en péril l’essentiel » – « l’essentiel », en l’occurrence, étant la « zone humide » du Teste –, on a, poursuit Plenel, le devoir de dire « non »: « Non, y compris à la loi quand elle n’est que l’alibi des pouvoirs confisqués, aveugles à leurs fins, sourds à leurs peuples. » Tandis que quelques milliers de lycéens parviennent à perturber ou bloquer plusieurs dizaines d’établissements pour dénoncer les « brutalités policières », les investigateurs s’efforcent de trouver les preuves desdites brutalités, suggérant que la mort de Rémi Fraisse n’est pas seulement un tragique accident – c’est bien connu, les gendarmes adorent assassiner des manifestants. Le maire de Carhaix promet une rue Rémi-Fraisse. Accusé de « retard de compassion », le gouvernement est sommé d’annuler le projet de barrage – et on peut parier qu’il s’exécutera.
Qu’un groupuscule, certes fort sympathique et de surcroît auréolé par le sacrifice d’un martyr, puisse exiger, et peut-être obtenir, l’annulation d’une décision bien sûr contestable mais semble-t-il adoptée en toute légalité, il faut être bêtement démocrate pour s’en offusquer. [access capability= »lire_inedits »] Je dois l’avouer, je ne suis guère tentée par ces nouvelles communautés, qui ressemblent passablement à celles d’hier, réseaux sociaux en plus, où l’on prétend retrouver le sens des solidarités. La solidarité en circuit fermé, c’est vite pesant – ça s’appelle contrôle social. Reste que ces jeunes gens qui hésitent entre Indiana Jones et Che Guevara ne manquent pas de courage, peut-être de panache. Et, derrière eux, beaucoup d’autres, qui ne passent pas à l’acte, cherchent dans les mêmes livres de quoi échapper à une société marchande qui ne leur offre même plus le raisonnable attrait du confort bourgeois. Je ne suis pas sûre de vouloir assister à la naissance d’une République mondiale des ZAD. Mais ces zadistes disent quelque chose de ce monde, c’est qu’il leur donne envie de le fuir. Les Veilleurs espèrent encore le changer. Les nouveaux djihadistes made in France n’ont, eux, qu’une chose en tête : le détruire.
En quelques jours, les compagnons de Rémi Fraisse, « botaniste » et « pacifique », cèdent la place, sur nos écrans, à une tout autre jeunesse qui a, cette fois, le visage de Maxime Hauchard, enrôlé dans les basses œuvres et dans la com de l’État islamique. On ne sait combien d’adolescents, secrètement, admirent cet assassin ou envient sa célébrité planétaire. Pour une fois, personne ne trouve d’excuse, même le chômage, à Hauchard. Mais puisqu’il a le bon goût d’être un franchouillard converti à l’islam, nos grandes voix en concluent péremptoirement que le djihadisme n’a rien à voir avec l’islam. Logique.
Il existe évidemment, entre djihadistes et zadistes, d’abyssales différences. Cependant, tous expriment une volonté de rupture – avec « le Système », « l’Occident », « la Politique », en somme avec un monde dans lequel ils ne trouvent plus grand-chose à aimer. Ils exagèrent, sans doute, mais on admettra que le salariat ne constitue pas une perspective particulièrement exaltante et le chômage encore moins. Sur notre planète quadrillée par les GPS, l’aventure est rarement au coin de la rue.
Certes, il n’y a là rien de très nouveau. Depuis qu’on a inventé la jeunesse, on ne naît pas jeune, on le devient. Et on le devient toujours en faisant sécession. L’époque offre de multiples façons de le faire. L’une des méthodes les plus courantes consiste à se couvrir de logos et à s’équiper de divers objets munis d’écouteurs permettant de communiquer avec ses seuls congénères dans un sabir incompréhensible, tout en retrouvant chaque soir le giron familial. Ce n’est peut-être pas très glorieux mais, après tout, tout le monde n’est pas fait pour vivre au grand air et manger bio. S’il faut choisir entre des décérébrés et des fanatiques, les premiers feront tout de même des vieux plus fréquentables.[/access]
*Photo : FRED SCHEIBER/SIPA. 00696855_000064.
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