Jeunesse, écoute-moi!


Jeunesse, écoute-moi!

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Je suis rassuré. Je viens d’élucider un grand mystère à propos de la jeunesse. Longtemps, la jeunesse, pour moi, c’était ce qu’il y avait de meilleur dans une société. D’ailleurs, les vieux ont assez vite inventé le terme de « jeunisme » pour discréditer la jeunesse mais aussi moquer ceux qui voulaient voir en elle le sel de la terre, ou à défaut, le terreau de saines révoltes.

Un jeune, ça ne se laissait pas faire, ça trouvait que rien n’allait de soi, même pas le bonheur. Tenez, Mai 68, si vilipendé aujourd’hui comme source de tous nos malheurs (les chocs pétroliers de 73 et 79 n’ayant apparemment joué qu’un rôle accessoire si on les compare aux ravages de l’hédonisme libertaire, de la pilule et de l’avortement), Mai 68 donc, a quand même été la révolte d’une jeunesse qui avait tout ou presque dans cette société des Trente Glorieuses. Eh bien, ils n’étaient pas contents quand même, les jeunes, ils trouvaient qu’on ne pouvait pas tomber amoureux d’un taux de croissance. Ils avaient raison, d’ailleurs, même si aujourd’hui tout le monde est amoureux de la croissance mais c’est toujours la même histoire, on s’aperçoit qu’on aimait la femme de sa vie une fois qu’elle a claqué la porte.

Les vieux – Mauriac ou Jouhandeau selon les sources – leur lançaient, à ces sales gosses sur des barricades, « Dans trente vous serez tous notaires ». Bon, c’est plutôt patron de presse ou conseiller du prince, mais l’idée était là. Aujourd’hui, je ne sais pas si les vieux se risqueraient à quelque prédiction que ce soit quand un jeune bouge. Parce que dans trente ans, le vieux d’aujourd’hui, il sent bien que son monde a un avenir assez indécidable. Promettre au jeune révolté d’être « notaire » dans trente ans, alors que le chômage de masse dure depuis trois générations, c’est tout de même risqué.

Mais il a de la chance, le vieux. Assez miraculeusement, alors qu’il n’y a jamais autant eu de raisons de se révolter, le jeune est sage. Très sage. On va citer les djihadistes, bien sûr, mais ce n’est pas une révolte, c’est le signe ultime et atroce de la soumission à la pire des aliénations, l’aliénation religieuse. On va citer le zadiste, mais le zadiste, il est tout de même pas très nombreux ni très pugnace. Il n’a tué personne même si à l’occasion, lui se fait tuer. Mais très majoritairement, le jeune ne bouge plus. Il vit moins bien que ses parents et que ses grands-parents, il n’aura pas de retraite, il accède à un CDI une fois par hasard et de toute façon, bientôt, il n’y en aura même plus de CDI. Ne parlons pas de la couverture santé, de la sécu, de la stagiairisation à vie, de l’accès à la propriété….
Et pourtant, il ne bouge pas le jeune. Il ne se syndique pas, il n’adhère pas à un parti politique, il ne vote pas ou alors FN dans une espèce de geste punk en croyant que ça embête tout le monde qu’il vote FN alors qu’en fait c’est bien pratique, ça permet aux autres (cf. Valls) de passer pour des défenseurs de la République tout en sabrant dans tous les budgets sociaux – car augmenter les minima sociaux c’est une dépense mais donner quelques milliards au Medef sans contrepartie, c’est un investissement sur l’avenir. Mais bon, non, il ne bouge pas, le jeune.

Heureusement, on vient d’avoir une explication à cette incroyable résignation oblomovienne, cette aboulie beckettienne, cet aquoibonisme bartlebien. En fait les jeunes n’entendent pas. Au sens propre. Ils sont devenus complètement sourdingues. C’est l’OMS qui le dit dans une enquête parue fin février. 50 % des jeunes de 12 à 35 ans, dans les pays à haut et moyen revenus, ont des problèmes d’audition. Parce qu’ils écoutent de la musique trop fort avec des casques qui leur envoient directement les décibels dans le cortex. Alors forcément, outre l’isolement et l’abrutissement qui empêchent de réfléchir, à la fin ils n’entendent plus rien. On conseille donc à ceux qui voudraient réveiller la jeunesse et la conduire à nouveau sur les chemins de la révolte de lire Marx, bien sûr, mais aussi et surtout d’apprendre le langage des signes.
On remarquera que le problème ne se pose pas dans les pays pauvres. Il faut croire que les bombardements sont moins dangereux pour l’ouïe que les iPod et qu’une bonne oreille est dans ces coins-là une question de survie : on entend arriver les obus, on peut estimer leur calibre et choisir l’abri idoine.

Pour le reste, rassurons-nous, qui n’entend pas ne se posera pas de question sur les désordres du monde, ses causes et ses conséquences.
Bref, nous vaincrons parce que nous sommes les plus sourds.



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