Je travaille depuis quelques jours à la réalisation d’un (très gros) PowerPoint sur la mythologie grecque — des centaines de tableaux de maîtres illustrant des centaines de légendes et de mythes, œuvres qu’il me faut bien commenter — bref, j’en aurai fini « quando sarà finito », comme Michel-Ange / Charlton Heston répond invariablement à Jules II / Rex Harrison dans l’Extase et l’agonie, le très beau film de Carol Reed sur les fresques de la Sixtine.
A priori, tout cela est justifié pédagogiquement : des milliers de textes font allusion à tel ou tel épisode de la légende gréco-latine. D’ailleurs, dès que ce sera fini, je me mettrai à la réalisation d’un second volet sur la geste biblique, dont les anecdotes alimentent quelques autres milliers d’écrits et de situations, littéraires ou non.
Je suis ma légende
Mais tout en m’immergeant dans ce travail de bénédictin, je ne peux m’empêcher de me demander ce que tous ces contes peuvent bien dire à mes élèves. Et plus globalement à ce que l’on appelle la « Génération Alpha », comme dans anAlphabètes (la version soft d’analphacons). Des jeunes qui pensent que le monde existe depuis leur naissance, et que la culture s’arrête au domaine agricole. Des jeunes gens sans mythes ni héros — étant entendu que dans l’individualisme contemporain, chacun est potentiellement surhomme dans sa sphère nombrilique.
Le ciel des Grecs était intensément peuplé. Ce peuple de bergers et de guerriers dormant tous à la belle étoile avait du temps pour identifier la constellation d’Orion, et remarquer qu’elle est à l’opposé du Scorpion, qu’elle semble fuir perpétuellement, puisque c’est ainsi que le chasseur infatigable a fini ses jours, ses vantardises tartarinesques ayant lassé la patience d’Héra.
Mais quel sens cela peut bien avoir pour des gens qui ont toujours eu un toit au-dessus de la tête, et qui vivent avec le sentiment que tout leur est dû ? On a beau les prévenir sur les dangers de l’hybris, cette démesure qui, de Milon de Crotone à Ajax, a anéanti tant de héros plus valeureux qu’eux, ils s’en tapent.
La Résistance ? Connais pas !
Les exemples pourtant ne manquent pas. Après tout, tel qui s’est fait appeler Jupiter a expérimenté dans sa chair le vieil adage — Quos vult perdere Jupiter (le vrai) dementat. Etre ramené sur terre par quelques gilets jaunes, c’est vexant, pour un habitant de l’Elysée — tiens, encore une référence grecque…
Mais l’un des derniers à avoir osé composer une légende moderne, c’est Richard Matheson — I am legend, 1954, ça ne nous rajeunit pas : le roman a été adapté en film (coucou, revoilà Charlton Heston) en 1971, à l’usage de la génération du Baby-boom, la dernière sans doute à avoir baigné, à cause de la guerre et de ses contrecoups, dans une atmosphère héroïque. Mon enfance a été bercée par des baptêmes de rues portant des noms de résistants, j’habitais rue Jean Compadieu, un communiste mort en déportation.
C’est loin tout ça, sourient nos élèves. La Résistance ? « Nescio vos », diraient-ils, s’ils avaient lu l’Evangile de Mathieu (25,12), ou le Dépit amoureux de Molière.
Molière ? C’est vieux, tout ça.
Une galaxie trop trop lointaine…
J’oubliais Tolkien. Mais le Seigneur des anneaux, quoique publié en 1954-1955, est comme le Hobbit, qui remonte à 1937, tout imprégné des aventures guerrières de l’auteur, qui a passé un bon bout de sa jeunesse à voir mourir ses amis pendant qu’il se battait sur la Somme. D’où croyez-vous qu’il ait tiré les Orcs et les Goblins de la Terre du Milieu — cette Mittel Europa qui a déchaîné ses démons à partir d’août 14 ?
Quant à la Guerre des étoiles, j’ai déjà exposé ce que l’on pouvait en penser. Et les derniers épisodes disneyesques ont depuis confirmé ce que j’en disais il y a trois ans : le filon est épuisé. Les vieux héros disparaissent. Place à des petits jeunes propres sur eux.
Quelqu’un croit-il que…
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