Camouflet, humiliation, isolement : entre Le Monde, Libération, France Inter, c’est à qui trouvera le mot le plus blessant et le plus dépréciatif pour décrire la séquence onusienne consécutive à la décision de Donald Trump de mettre fin à l’infinie procrastination d’une décision du Congrès américain datant de 1995, reconnaissant Jérusalem comme capitale d’Israël, et décidant de lancer les études pour le transfert de l’ambassade des Etats-Unis de Tel Aviv à Jérusalem-Ouest.
Même pas mal !
Pour le profane, qui ne suit pas à la loupe l’évolution du volet diplomatique du conflit israélo-arabe, il n’y a pas photo: la résolution condamnant Washington a été adoptée à 14 contre 1 (véto américain) au Conseil de sécurité, et par 128 pour 9 contre, 35 abstentions et 21 non-participations au vote en Assemblée générale. Cela ressemble donc fort à une défaite humiliante, du genre de celles que, de temps à autre, les All Black néo-zélandais font subir au Quinze tricolore…
Pour ceux qui, en revanche, s’efforcent de ne pas avoir une mémoire de poisson rouge dans leur perception de l’évolution des rapports de force géopolitiques, et ne se contentent pas de métaphores sportives pour expliquer la marche du monde à leurs lecteurs, auditeurs et téléspectateurs, cette affaire est notablement moins pénible pour les Etats-Unis et Israël qu’on voudrait nous le faire croire.
Le vote du Conseil de sécurité était joué d’avance, car aucune des nations traditionnellement moins défavorables aux positions défendues par les Etats-Unis et Israël n’en fait actuellement partie. Comme le véto américain était certain (quelle nation, d’ailleurs, accepterait de se voir condamnée pour une décision relative à l’implantation de son ambassade dans un pays tiers ?), on a voté avec d’autant plus d’entrain que l’on était assuré que ce vote n’aurait aucune conséquence. Le « Trump bashing » étant la chose la mieux partagée dans nos contrées, on ramasse au passage quelques bénéfices de politique intérieure. C’est petit bras, d’accord, mais c’est humain.
Un vote pas si unanime
Quant au vote de l’Assemblée générale, qui, rappelons-le, n’a d’autre effet que symbolique, il a surpris désagréablement ceux qui pensaient que le monde entier serait témoin, comme d’habitude, de la mise au pilori d’Israël et des Etats-Unis, dont les soutiens seraient limités aux quelques Etats aussi microscopiques et dépendants à 100% de la manne financière des Etats-Unis, que Nauru, les Iles Marshall ou la Micronésie (« Mike who ? » avait, jadis, demandé Ronald Reagan que l’on informait des votes favorables à l’ONU). La formule d’Abba Eban, longtemps ambassadeur d’Israël aux Nations-unies, et figure historique des « colombes » israéliennes dans la gestion du conflit avec les Arabes, ne cessait de faire mouche : « Si l’Algérie mettait aux voix à l’Assemblée générale une résolution stipulant que la terre est plate et que c’est Israël qui l’a aplatie, elle serait votée à une écrasante majorité des pays membres de cette honorable assemblée ! ». Exagéré ? Caricatural ? Les récents votes de l’Unesco, organe de l’ONU, dont la Palestine – grâce à la France – est devenue membre à part entière, déniant tout lien des Juifs avec le Mont du Temple à Jérusalem, montrent que la permanence de cet état d’esprit ne relève pas seulement des fantasmes de sionistes radicaux.
Replacé dans son contexte historique, le dernier vote de l’Assemblée générale de l’ONU montre plutôt un renforcement du statut international d’Israël que le contraire et, en conséquence, un affaiblissement de la position palestinienne. Au total, 65 pays n’ont pas voté en faveur des contempteurs de Donald Trump et Benyamin Netanyahou. Qui peut dire aujourd’hui, par exemple, que le Canada de Justin Trudeau, le Mexique, l’Argentine ou l’Australie sont des pays totalement sous la coupe économique et politique de Washington, ou soumis à la pression d’un puissant lobby juif intérieur ? Qu’ils font partie de la secte des adorateurs de Donald Trump et du Likoud réunis ? Qui peut penser que ces nations peuvent être sensibles aux menaces de représailles économiques inconsidérément brandies par Nikki Halley, ambassadrice américaine à l’ONU, comme de vulgaires républiques bananières africaines ou sud-américaines ?
L’Europe à nouveau divisée
Et l’Europe ? Elle a montré une fois de plus que sa division sur la question est insurmontable : 6 pays membres de l’UE n’ont pas voté une résolution soutenue par la France et l’Allemagne, qui prétendent au leadership continental : la Pologne, la République tchèque, la Hongrie, la Roumanie, la Lettonie et la Croatie. Si Bruxelles avait quelques prétentions à se substituer comme médiateur au Proche Orient à des Etats-Unis récusés par Mahmoud Abbas, ce n’est pas gagné.
Israël, de plus, perçoit les dividendes d’une habile diplomatie africaine menée dans un contexte où ce continent est déstabilisé par la menace djihadiste. L’expertise de l’Etat juif en matière de lutte contre le terrorisme, mise au service de pays africains importants, comme le Kenya et la République démocratique du Congo – et même le Togo pourtant dans la sphère d’influence française – n’a pas été étrangère à leur vote de New-York. Même le Turkménistan, pays d’Asie centrale issu de l’ex URSS, très majoritairement musulman et turcophone, n’a pas suivi les consignes de vote de ses deux mentors, la Russie de Poutine et la Turquie d’Erdogan !
Obama n’existe plus
« C’est à la fin du marché qu’on compte les bouses. » Ce vieil adage de la France rurale devrait être médité par Mahmoud Abbas et ses soutiens inconditionnels. Et le compte est loin d’y être pour la direction palestinienne ! Non seulement l’initiative de Donald Trump n’a pas mis le feu dans les Territoires palestiniens et dans la rue arabe à travers le monde – contrairement aux prophéties apocalyptiques des commentateurs patentés – mais elle n’a pas, non plus, déclenché au sein de la communauté internationale une vague de reconnaissance de l’Etat palestinien. Venu à Paris pour quémander celle-ci, Mahmoud Abbas s’est vu opposer une fin de non recevoir par Emmanuel Macron, qui prend ainsi ses distances avec la stratégie de Laurent Fabius. Celui-ci avait fait voter, en décembre 2014, le principe de cette reconnaissance par le Parlement français – avec l’objectif de faire pression sur Israël – et convoqué en 2016, à Paris une conférence internationale sur la question israélo-palestinienne – qui fut un fiasco. Cela aurait dû, en bonne logique, déclencher la bombe diplomatique promise par Fabius, mais Macron ne voit pas les choses de la même manière, et fait preuve d’une saine prudence dans un dossier où il n’y a que des coups à prendre…
La stratégie de Donald Trump sur le dossier israélo-palestinien est disruptive, bousculant le statu quo diplomatique installé depuis le début du siècle, après l’échec des pourparlers de Camp David et de Taba. Rien ne garantit que cette stratégie réussisse, mais il est certain que celle de son prédécesseur Barak Obama, qui voulait tordre le bras des Israéliens, a échoué.
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