Après les municipales, le politologue et sondeur Jérôme Sainte-Marie observe l’affaiblissement de l’échelon communal. Dans un contexte d’abstention massive, le succès des Verts et de la gauche dans les grandes villes doivent être relativisés.
Causeur. Que retenez-vous des résultats des élections municipales ?
Jérôme Sainte-Marie. La principale leçon est l’affaiblissement d’un véritable pilier de la République : le scrutin municipal. Avec 58 %, l’abstention massive du second tour n’est pas réductible au Covid-19. Autrefois, on parlait de la République au village, car ce sont dans ces 36 000 communes que s’est enraciné notre régime. En février, plus de six Français sur dix exprimaient leur confiance dans leur maire et dans leur conseil municipal. C’est exceptionnel par rapport au reste des institutions.
On se retrouve pourtant aujourd’hui dans une situation assimilable à celle des élections législatives de 2017. Il y avait également eu 58 % d’abstention au second tour, tant et si bien que la majorité des sièges de l’Assemblée nationale, pour La République en marche, reposait sur 15 % des inscrits. Une partie des problèmes du quinquennat vient de là.
Cette crise de légitimité manifeste-t-elle un malaise beaucoup plus profond qu’une simple grogne contre le régime d’Emmanuel Macron ?
C’est une nouvelle illustration de la crise démocratique. Le monde municipal est resté relativement stable avec des mairies de droite et des mairies de gauche. Simplement, les mairies de gauche sont plus dominées par les écologistes qu’auparavant. Pourquoi ? Les Français redoutent une catastrophe économique, une perte d’emploi, une perte de pouvoir d’achat et une dislocation de notre système social, voire de notre État. Or, l’échelon municipal a peu de prérogatives en la matière. En revanche, il en a une pour une autre préoccupation des Français, certes secondaire, mais réelle : l’environnement.
D’où une vague de victoires écologistes à Bordeaux, Lyon, Strasbourg, Tours, Marseille…
Relativisons-la. Les médias raisonnent sur un second tour ayant lieu essentiellement dans les villes moyennes ou grandes. Le succès vert se fait sur une base très minoritaire, dans le cadre des villes, des métropoles et des villes-centres décrites par Christophe Guilluy. Ce n’est plus du tout la même sociologie que le reste de la France. Au second tour des municipales, seul un tiers des Français était appelé aux urnes. Et sur ce tiers, une part énorme n’est pas allée voter.
Enfin, dans la plupart des cas, les candidats verts étaient têtes de liste d’une couleur beaucoup plus chatoyante. Le cas emblématique est celui de Marseille, où Michèle Rubirola a été choisie parce que, compatible avec tous, elle empêchait un blocage : les socialistes voulaient être tête de liste, la France insoumise aussi. Et les Marseillais ont voté pour elle, ou plutôt pour ses listes marquées à gauche, parce qu’elle était porteuse de beaucoup d’autres demandes sociales que l’environnement.
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Vers la fin du confinement, Jérôme Fourquet diagnostiquait une certaine radicalisation de l’électorat. Pourquoi ce sentiment ne s’est-il pas manifesté dans les mairies ?
les choses ne se passent plus via le vote, mais des mouvements de rue comme celui qu’on connaîtra peut-être demain avec les soignants. D’autant que la formation la plus opposée dans les sondages au macronisme, le RN, était doublement exclue de ce scrutin. D’abord, les électeurs du Rassemblement national habitent essentiellement les petites villes. Jérôme Fourquet a d’ailleurs montré qu’aux européennes, Jordan Bardella atteignait 28 % dans les communes de moins de 3 500 habitants contre seulement 14 % dans les communes de 100 000 habitants. Plus la taille de la ville augmente, plus son score baisse. Souvent, il n’y a pas beaucoup de listes Rassemblement national, tant il est difficile de s’afficher avec cette étiquette dans une petite ville. La France insoumise joue également de moins en moins ce rôle de radicalité et se livre désormais à des jeux d’appareil avec une espèce de gauche reconstituée.
C’est-à-dire ?
La France insoumise a tenté une forme de populisme de gauche, mais a refusé toute forme d’alliance ou de report de voix avec l’autre populisme qu’est le RN. Du « populisme de gauche », il ne reste donc plus que le mot « gauche ».
Dans le dernier sondage présidentiel de l’IFOP pour Sud Radio qui donne Macron-Le Pen à 55 %-45 %, la gauche est à 25 % toutes formations confondues, de l’extrême gauche jusqu’à l’électorat Jadot. Dans ce cadre, les Verts incarnent la tentative de retrouver l’époque où les partis politiques étaient ceux de la classe moyenne, de la petite bourgeoisie. C’est une façon d’échapper au conflit de classes caractérisant le quinquennat d’Emmanuel Macron.
Autrement dit, le vote EELV s’agrège au « bloc bourgeois » que vous opposez au « bloc populaire » ?
Non. Entre ces deux blocs qui polarisent les classes sociales, il y a toujours eu beaucoup de monde. Un Français sur deux cherche des solutions moyennes comme le vote vert, contestataire mais pas trop. D’ailleurs, l’écologisme peut constituer l’accompagnement idéal pour les transformations capitalistes, portant les idéaux du sans-frontiérisme, de l’individualisme et du mondialisme. La croissance et le capitalisme verts permettent de reconstituer des marges et de lancer une forme de keynésianisme écolo.
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Mais tout le monde adopte désormais ce discours social. Avec la crise, Emmanuel Macron a changé de politique en nationalisant les salaires, réhabilitant la souveraineté et la relocalisation de l’industrie. Le populisme souverainiste perd-il une partie de sa rente ou en sort-il renforcé ?
Il n’y a pas de tournant souverainiste chez Emmanuel Macron, mais quelques concessions verbales qui ne satisfont que Jean-Pierre Chevènement, si j’ose dire. Quand on parle d’indépendance nationale et européenne dans la même phrase, il y a une contradiction. Et le recours à de l’argent public pour surmonter la crise correspond à ce qui avait été fait lorsqu’il fallait sauver le système bancaire en 2008. Bref, rien de très nouveau sous le soleil : on sauve un système grâce à de l’argent public, ce qui a comme effet d’accroître l’endettement et de restreindre encore davantage la souveraineté nationale.
N’est-ce pas une sorte de 1983 à l’envers ?
Pas du tout. Le gouvernement dépense de l’argent public de manière transitoire, mais cela ne modifie en rien sa volonté de réformes structurelles, en matière de Code du travail ou de périmètre de la propriété publique.
Rappelons que Macron a été élu pour « libérer les énergies » et réduire la part du public dans l’économie. Il ne peut renoncer à ces réformes, sans quoi il perdrait une partie de son électorat qui partirait vers plus libéral que lui. Au niveau de la souveraineté nationale, je ne vois pas du tout Emmanuel Macron revenir sur ses vues europhiles, pour ne pas dire européistes, comme en témoigne l’idée d’un emprunt commun, portée avec l’Allemagne.