Jérôme Leroy, brut et brutal


Jérôme Leroy, brut et brutal

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2015 sera-t-elle l’année de Jérôme Leroy ? Nous l’espérons, car sans cela, il n’en restera pas grand-chose à sauver. Après nous avoir bercés avec le mélancolique et très classe Sauf dans les chansons (La Table Ronde), envoûtés avec Les Jours d’après (idem), le plus rouge des auteurs de romans noirs est l’heureuse surprise de cette rentrée littéraire un peu pâlotte. Son Jugan squatte d’ores et déjà – à juste titre – les listes du Renaudot et du prix Décembre.

J’ai tendance à penser que la place d’outsider est plus enviable que celle de favori, c’est pourquoi, alors que mes affinités ne m’y poussaient pas et que je me remettais à peine du déclin du mois d’août, je me suis lancé dans la lecture du polar de l’ami Jérôme.

Il y a de la jubilation à jouer avec les nerfs du lecteur : à l’embarquer sur des chemins de traverse, dans les campements des gitans et des voyous comme dans les pires secrets de l’âme humaine. Il y a du génie à nous faire sentir les picotements de la bruine normande sur les joues. Il y a aussi une jouissance, chez ce maître en élégance nonchalante, à torturer l’image de la vertu, la vierge et amoureuse Assia, aussi perfidement que Joël Jugan, le monstre au rôle-titre.

Il est rare, de nos jours, de tomber nez à nez avec un morceau de monde en ouvrant un livre.[access capability= »lire_inedits »] On est habitué aux léthargies égotistes des dames patronnesses de Saint-Germain-des-Prés et à la nausée qu’elles nous infligent, aux pirouettes sans lendemain des jeunes loups et aux romans-fleuves dont personne ne sait quoi faire. On se débarrasse de ceux-là avec des lauriers et l’on croise les doigts pour que leurs auteurs ne passent pas l’hiver. Jérôme Leroy n’a pas fait dans la dentelle. Ni complaisance, ni assoupissement idéologique, ni prétention épuisante, mais un texte brut et brutal.

Cette radiographie à peine fantastique de la province française est bien sûr un écho à L’Ensorcelée de Barbey d’Aurevilly, mais elle ne lui emprunte que le cadre. Pour le reste, pas de cadeaux, pas de perspectives sinon les lignes des quatre-voies, pas de ciel à prier, pas d’espoir de salut, pas même de revanche du bien sur le mal. Barbey nous autorisait au moins à dormir tranquilles, Leroy et Jugan se moquent de notre sommeil, ils torturent respectivement lecteur et narrateur jusque dans leurs rêves les plus doux, jusque dans leur sinécure estivale.

Les souvenirs les plus douloureux finissent par s’émousser et devenir d’agréables légendes. Celle du groupe Action Rouge nourrissait les fantasmes déçus de la CPE du collège et la mémoire falsifiée d’une jeunesse fougueuse pour les notables du coin. Mais, quand le passé refait surface, c’est rarement pour nous conforter dans l’idée que l’on s’en était faite. Jugan, en cela, est la personnification monstrueuse de nos mensonges et des lâchetés universelles ; il vient taper sur l’épaule des traîtres à sa cause, une vraie malédiction.

On retire de l’expérience un goût amer, la conscience aiguë – si elle nous avait manqué – que le mal est tapi en chacun, qu’il est inutile de le chercher et de le désigner ailleurs qu’en soi-même et son voisin. Les meilleurs idéaux font de nous des monstres, les plus belles promesses sont faites pour être trahies et les meilleures amantes pour être abandonnées. C’est la loi de la nature, disait-on.

Pour un lecteur de romans réticent comme je le suis, le mot d’ordre et critère de sélection a toujours été celui de Stendhal : que ce soit « un coup de pistolet au milieu d’un concert ». Jugan s’achève par des coups de fusil en pleine kermesse scolaire, voilà qui a plus de panache et qui laisse augurer un bel avenir à son auteur. Nous comptons sur lui désormais pour perturber avec le même talent le ronron des cérémonies automnales et continuer de nous secouer dans nos fauteuils.[/access]

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Jérôme Leroy, Jugan, La Table Ronde, 2015.

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Octobre 2015 #28

Article extrait du Magazine Causeur



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