Figure de l’aile gauche du PS, Jérôme Guedj est président du Conseil général de l’Essonne. Il vient de quitter l’Assemblée nationale, François Lamy, dont il était le suppléant, n’ayant pas été reconduit au gouvernement.
Causeur. Quel est, selon vous, le message que les électeurs ont adressé aux socialistes, au gouvernement et au Président lors des élections municipales ?
Jérôme Guedj. Ce message est limpide : avec leur bulletin de vote ou leurs pieds, les Français nous ont dit qu’ils ne se reconnaissaient pas dans la politique menée par le gouvernement de François Hollande. Ce qui est surprenant, c’est qu’ils n’ont même pas exprimé leur colère pendant la campagne. En 1992-1993, on se faisait engueuler, presque insulter sur les marchés ; là, c’était plutôt un silence résigné. Du coup, on s’est dit que les électeurs distinguaient la situation locale des sujets nationaux. Et nous nous sommes auto-intoxiqués. La colère, il faut que ça sorte. Et comme le peuple de France est un peuple très politique, il a parlé avec son bulletin de vote… ou avec ses pieds.[access capability= »lire_inedits »]
Mais à en croire nombre de socialistes, la dérouillée du PS aux municipales est la preuve que les Français veulent une politique de gauche. Vous charriez un peu, non ?
Je réfute les analyses sur la supposée « droitisation » de la société. Certes, la droite a su profiter de certaines occasions, notamment des débats sociétaux où l’on a facilité son travail, mais ce sont les gens de gauche qui ont fait battre le PS aux municipales. Nous avons perdu le peuple de gauche, comme en 2002, lorsque Jospin n’avait recueilli que 13% du votre ouvrier à l’élection présidentielle. Hollande est encore moins populaire chez les chômeurs, ouvriers et employés (90 % d’opinions défavorables) que dans le reste de la population (82 %). Et dans les quartiers populaires qui avaient voté à 80 % pour Hollande en 2012, l’abstention a battu des records !
À quel moment du quinquennat avez-vous perdu l’électorat socialiste de mai 2012 ?
Le tournant a eu lieu le 6 novembre 2012, lors de la conférence de presse du Président sur le rapport Gallois : à partir de là, Hollande n’a eu que les mots « politique de l’offre », « compétitivité » et « coût du travail » à la bouche. Et cette logique est allée en s’amplifiant jusqu’au « pacte de responsabilité ». Alors, je sais que c’est vieux jeu d’accorder de l’importance aux textes votés par le Parti, mais pas un mot de tout cela ne figurait dans la motion adoptée un mois plus tôt, au Congrès de Toulouse, autour d’Harlem Désir. Et il en avait encore moins été question durant la campagne : il n’a tout simplement pas été élu sur ces thèmes. Il aurait pu se rattraper en nationalisant temporairement Florange. Cette solution exceptionnelle d’inspiration strauss-kahnienne n’aurait coûté que 400 millions d’euros. Mais il s’acharne à appliquer le théorème de Helmut Schmidt, d’ailleurs jamais vérifié, selon lequel les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain, et les emplois d’après-demain. En attendant, il y a 1,2 million de foyers fiscaux qui n’étaient pas assujettis à l’impôt sur le revenu et qui le sont désormais, ce qui les prive de nombreux avantages sociaux. Alors, le « redressement dans la justice », ils ne le voyaient pas ainsi.
Sur quelles bases François Hollande devrait-il revoir sa politique ?
Dans la situation actuelle, les critères de Maastricht ne sont pas tenables ! De plus, pourquoi avoir demandé et obtenu un report de Bruxelles en 2013 pour s’incliner aujourd’hui devant une Commission finissante ? L’ironie veut que le jour même où Hollande confirme que sa priorité est la baisse du déficit, le PS lance sa campagne européenne avec le mot d’ordre « Non à l’austérité à l’échelle européenne » ! Même le nouveau premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis pense qu’il faut sortir du carcan des 3 %. Il est temps d’en finir avec cette schizophrénie !
François Hollande et Manuel Valls font-ils complètement fausse route quand ils pensent que nous avons un problème de compétitivité ? Les baisses de charge ne peuvent-elles pas préserver voire créer des emplois ?
D’abord, l’une des justifications avancées a été que cette réduction des coûts allait permettre aux entreprises de reconstituer leurs marges, puis d’investir. Quant aux embauches, ils n’en savent rien puisque les allègements sont consentis sans conditions. Tabler sur un « choc de confiance aux entreprises » me paraît pour le moins hasardeux. En revanche, les 20 milliards de baisse de l’impôt sur les sociétés financés par une hausse de la TVA et une réduction des dépenses publiques sont très concrets !
Ne faut-il pas soutenir l’industrie française face à la compétition internationale ?
Oui, mais en ce cas, parlons de l’euro fort qui pénalise lourdement notre compétitivité ! Et puis, si on veut vraiment soutenir nos exportations, pourquoi le Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi bénéficie-t-il aux professions réglementées qui ne sont pas soumises à la concurrence ? On gèle les prestations sociales pour donner 3 milliards d’euros à la grande distribution, 2 milliards d’euros au bâtiment, 1,5 milliard aux médecins, huissiers, avocats… Un notaire paiera 7000 euros d’impôts en moins par an, va-t-il embaucher ? Non, il va partir en vacances ! Je ne suis pas contre la politique de l’offre, mais il faudrait au moins cibler les bénéficiaires !
Que peut faire un député de la Ve république appartenant à une majorité dont il récuse la politique ?
Je suis conscient que, si l’on va trop loin, on risque de faire tomber le gouvernement. Le quinquennat et la coïncidence des mandats présidentiel et parlementaire sont un piège terrible qui paralyse le pouvoir des députés. Reste que le Président de la République procède à son tour du contrat qu’il a passé avec les Français. Or, ce contrat, ce sont les 60 engagements présidentiels. Je ne suis même plus à la gauche du parti, mais simplement un fidèle hollandais de 2012 ! Avec l’hyper-présidence, on vit une forme de confiscation du pouvoir, de coup d’État permanent. Les parlementaires n’ont le choix qu’entre le baroud d’honneur – présenter puis retirer un amendement – et le conflit majeur avec l’exécutif. Il n’y a pas de voie médiane…
Êtes-vous prêt à monter aux extrêmes, c’est-à-dire à risquer une dissolution ?
Non, la dissolution, on en connaît l’issue. Mais il faut que le Président tienne compte de l’état d’esprit des élus de sa majorité et qu’il soit prêt au compromis quand nous formulons des contre-propositions.
Le coup de pouce aux petites retraites, n’est-ce pas un compromis ?
Ca va dans le bon sens, mais le scénario envisagé, à savoir un crédit d’impôt, ne correspond pas à l’urgence sociale dans laquelle se trouvent de trop nombreux retraités. Les vieux ne doivent pas être une variable d’ajustement dans la crise.
Quel rôle Manuel Valls joue-t-il dans ce rapport de force ?
Manuel Valls a clairement décidé de se placer dans la roue du Président pour ne pas laisser penser qu’il veut être calife à la place du calife. De surcroît, la ligne actuelle est conforme à celle qu’il a présentée aux primaires – qui n’avait, je vous le rappelle, recueilli que 5 % des voix !
Au fond, Hollande est-il plus proche de Sarkozy que de Jérôme Guedj ?
Je ne tracerai jamais un signe d’égalité entre Sarkozy et Hollande. Je sais trop ce qu’était et ce que serait le projet de la droite. Reste qu’on est aujourd’hui très loin du discours du Bourget… J’ai cru que Hollande, devenu Président, demeurerait adepte de la synthèse solférinienne. J’ai peur de m’être trompé, puisqu’il a manifestement renoué avec le dépassement du clivage gauche-droite qu’il théorisait au temps des Clubs Témoins au milieu des années 80.
C’est ce que Marine Le Pen nomme l’« UMPS »…
Absolument, cela donne l’impression détestable que la droite et la gauche sont d’accord sur l’essentiel et font semblant d’être en désaccord sur l’accessoire. Cela désespère nos propres électeurs et alimente en partie le FN.
À l’intérieur de la gauche, on peut distinguer plusieurs familles : la gauche démondialisatrice, la gauche européiste, la gauche sociétale, etc. Malgré tout, Valls incarne une gauche républicaine…
Incontestablement, c’est pourquoi j’étais convaincu que Valls construirait la nouvelle grande synthèse de la gauche. Je me suis trompé. En tout cas, il doit penser que ce n’est pas le moment. Et peut-être se dit-il que le côté « père courage », la dimension « du sang et des larmes » le serviront mieux pour l’avenir, notamment en 2022.
Votre incompatibilité idéologique avec Hollande et Valls ne valide-t-elle pas la stratégie de votre ancien ami Mélenchon ?
Cette stratégie a rendu Mélenchon politiquement impuissant !
Que pensez-vous de l’idée de Julien Dray qui voudrait organiser une primaire pour choisir le candidat socialiste en 2017 ?
J’y suis favorable. Si la courbe du chômage ne s’est pas radicalement inversée au milieu de 2015, Hollande ne sera pas en position de gagner en 2017.
Propos recueillis par Elisabeth Lévy, Gil Mihaely et Daoud Boughezala[/access]
* Photo: REVELLI-BEAUMONT/SIPA.00683470_000016
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