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Jérôme Cahuzac ou le retour de l’alligator

"Je ne m'interdis rien", merci, on était au courant!


Jérôme Cahuzac ou le retour de l’alligator
Jérôme Cahuzac et son avocat Eric Dupond-Moretti, février 2018 © SEVGI

Condamné pour fraude fiscale, l’ex-ministre du Budget de François Hollande est de retour. «Ce n’est pas parce que j’ai commis un acte parfaitement immoral que mon retour l’est» affirme-t-il au micro de France inter.


Coup de théâtre ! Jérôme Cahuzac, l’ancien ministre du Budget condamné pour fraude fiscale et blanchiment, refait surface dans le marigot. « Ce n’est pas parce que j’ai commis un acte parfaitement immoral, que ce retour l’est par là même » déclare-t-il sur France Inter en « invoquant l’esprit de responsabilité » avant de s’en prendre aux socialistes et aux journalistes qui, au nom de leur morale tout autant subjective que la sienne, condamnent son retour.

Le bel alligator n’a pas oublié Pascal : « vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». Il ne le cite pas mais fait sien ce relativisme de la justice. Chez l’auteur des Pensées le relativisme de la loi est l’expression d’une aspiration universelle, quoique nécessairement imparfaite, à une justice absolue de nature divine. Chez Cahuzac, le relativisme est la vase qui lui colle aux pattes. Interrogé sur une candidature à un mandat local, il répond : « Il est clair que je ne m’interdis rien ». C’est dans sa circonscription de Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne) où il fut maire qu’il teste et tente son retour en politique. Les habitants sont divisés. Ciblés par un micro-trottoir, les uns estiment qu’il a payé sa dette, les autres qu’il devrait se faire tout petit et rester chez lui avec ses casseroles.

Que Jérôme Cahuzac ne soit pas homme à s’interdire quoique ce soit, il n’a pas besoin de nous le rappeler. Après avoir demandé hier à Éric Dupond-Moretti de le défendre, le voilà aujourd’hui qu’il ne s’interdit pas de faire appel à un Emmanuel Kant approximatif qui, à la différence de ses anciens copains socialistes, « n’a pas osé, lui, inventer sa morale et imposer une morale. Il a juste réfléchi aux critères qui feraient que peut-être une morale individuelle aurait une valeur universelle ». Ceux qui condamnent son retour « devraient réfléchir à ces critères », prévient-il, car « manifestement, ils n’en respectent aucun ». Ce coup de pied de l’âne inaugurerait-il un grand déballage ?

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Après la question de la morale, vient celle de la confiance : « Vous avez menti à la presse, lui rappelle la journaliste de France Inter, vous avez menti au fisc, vous avez menti à l’Assemblée nationale, vous avez peut-être menti au Président de la République (…), la question, Jérôme Cahuzac, c’est comment vous faire confiance ? » Et la journaliste de lui donner lecture du dernier Baromètre du Cevipof sur la confiance des Français vis-à-vis du personnel politique : « 82 % des gens interrogés estiment que les responsables politiques ne se préoccupent absolument pas de ce qu’ils pensent, eux, mais de leur carrière à eux. 69% jugent qu’en règle générale les élus et les dirigeants politiques français sont plutôt corrompus qu’honnêtes ».

La confiance, pour Jérôme Cahuzac, n’est pas son problème. C’est celui de chacun. Sa réponse n’est pas loin du cynisme de Jacques Chirac pour qui « les promesses n’engageaient que ceux qui les recevaient ». Lui, il a accepté sa condamnation, purgé sa peine et est « au clair avec lui-même ». À 71 ans, l’alligator se jette à nouveau sur la classe politique avec un redoutable appétit. Sidérée par sa vivacité, la journaliste terminera l’entretien en envoyant à la gueule de l’animal : « c’est l’hôpital qui se moque de la charité ».

La journaliste semble oublier que les Français ne font pas plus confiance aux médias qu’au personnel politique. Aussi le compliment pourrait-il lui être renvoyé à la figure. N’est-il pas, en quelque sorte, contraire à l’éthique journalistique d’interroger en novembre 2023 l’ancien conseiller « médicaments » du gouvernement Rocard sans évoquer l’alimentation par l’industrie pharmaceutique d’un compte à l’étranger, alors que depuis des mois l’énormité du scandale sanitaire et financier du Covid-19 se précise ? Il suffit d’écouter les déclarations des autorités administratives et politiques. Celles-ci n’ont désormais de cesse de vouloir se disculper en rejetant la responsabilité de leur forfaiture sur le voisin. Même si les grandes chaînes de télévision qui n’ont en général donné la parole qu’à des médecins ayant des conflits d’intérêts, semblables à ceux hier de Jérôme Cahuzac, même si ces médias continuent de se taire, l’inquiétude grandit dans les rédactions, chez nos gouvernants et parmi les commissaires européens. Des rapports chiffrés sortent, des étincelles de vérité de plus en plus nombreuses fusent dans la nuit d’une démocratie dévoyée par la corruption. Tous ceux qui, sur les plateaux de télévision et dans les assemblées parlementaires, ont hurlé au complotisme pour bâillonner et discréditer de grands scientifiques qui savaient qu’on mentait gravement aux Français, tous ces malfaisants intéressés comme Jérôme Cahuzac par l’argent et le pouvoir, craignent aujourd’hui que l’éruption fasse sauter la montagne.




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Ancien collaborateur parlementaire, Jérôme Serri est journaliste et essayiste. Il a publié Les Couleurs de la France avec Michel Pastoureau et Pascal Ory (éditions Hoëbeke/Gallimard), Roland Barthes, le texte et l'image (éditions Paris Musées), et participé à la rédaction du Dictionnaire André Malraux (éditions du CNRS).

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