Reconnu coupable de fraude fiscale, l’ancien ministre du Budget Jérôme Cahuzac, médecin à la ville, n’a tué personne. Mais un médecin parisien trop zélé veut empêcher son confrère de reprendre du service en Guyane. Le désert médical d’outre-mer est pourtant une terre de rédemption idéale.
« Un docteur parisien veut faire radier Jérôme Cahuzac de l’Ordre des médecins », a titré le quotidien Sud-Ouest le 5 août dernier. Le dernier méfait de l’ancien ministre ? Être allé embellir son CV en Guyane profonde alors qu’il venait d’être condamné en appel à quatre ans de prison, dont deux avec sursis. Soit le médecin parisien fait preuve de mauvaise foi, soit il ignore vraiment, ce qui est encore pire, ce qu’est le massif guyanais : le plus grand désert médical de France. En janvier 2016, selon l’institut Statiss (Statistiques et indicateurs de la santé et du social), on y comptait 55 médecins généralistes pour 100 000 habitants, moitié moins qu’en métropole. Cette déprimante conjoncture touche aussi les dentistes, les kinés, les infirmiers, les chirurgiens, dont beaucoup travaillent dans des conditions insoutenables, s’inquiétait l’hebdomadaire Marianne en juillet dernier.
La Guyane périphérique snobée par Cayenne
Situé à 4 heures en pirogue (à moteur) de Saint-Georges de l’Oyapock, à la frontière du Brésil, Camopi est le lieu rêvé des aventuriers de l’Amazonie, tel l’explorateur Raymond Maufrais, apôtre des dévots des forêts guyanaises, qui après quatre longues années d’exploration auprès d’anciens bagnards, orpailleurs, lépreux et Amérindiens, disparut à l’âge précoce de 23 ans. En revanche, chez ceux qui ne sont pas habités dès leur plus tendre enfance d’un penchant pour l’odyssée amazonienne (et guyanaise), aucune raison de se bousculer pour prendre racine dans ce bled de 1700 habitants, ceci malgré les multiples primes qui justifient les copieux salaires de ses fonctionnaires. En raison d’un niveau de formation universitaire insuffisant chez les natifs de ce que l’administration appelle les sites isolés, la Guyane intérieure importe son personnel médical et éducatif. Or, la plupart des Guyanais de Cayenne ou du littoral tressaillent à l’idée d’aller s’enterrer dans les patelins de cette Guyane périphérique, loin de leur famille, des boutiques et de la cuisine créole. En conséquence, que ce soit dans la santé ou l’éducation, ce sont généralement des métropolitains, poussés par la soif d’aventure ou l’appât du gain qui s’y collent. Ou Jérôme Cahuzac, qui y a décroché son job d’été.
Jérôme Cahuzac, un contractuel comme les autres ?
Dans sa quête de rédemption, le prothésiste capillaire a été employé, comme les enseignants sans CAPES, au titre de contractuel. En effet, pour pallier le manque récurrent de fonctionnaires hors du littoral, le rectorat de Cayenne en est à recruter sa main d’œuvre par petites annonces, sur le site de Pôle Emploi notamment. C’est ainsi que dans le collège Gran Man Difou, unique collège de la petite ville de Maripasoula, pourtant plus urbanisée que Camopi, sur la soixantaine d’enseignants, seule une dizaine était titulaire du fameux CAPES pour la dernière année scolaire. A Camopi, c’est pire : tous les ans, des postes d’enseignants au collège sont vacants. Des gamins risquent encore de se retrouver sans professeurs dans certaines matières à la rentrée scolaire. On ne s’improvise pas professeur, mais on s’improvise encore moins médecin. Dans le domaine de la santé, la situation est donc encore plus délicate. « C’est une honte qu’un condamné pour fraude fiscale vienne travailler en Guyane comme si de rien n’était », s’indignait une collègue (de gauche) de l’Education Nationale. « Il y a en France une justice à deux vitesses », renchérissait un autre collègue (encore plus à gauche). N’est-il pas autrement plus scandaleux qu’un village de 1700 habitants, fût-il en Amazonie française, se retrouve sans un seul médecin durant un mois parce que le dernier est parti en vacances ? L’ancien ministre n’a volé la place de personne. Comme a argué la directrice du principal hôpital de Cayenne, le dispensaire de Camopi n’aurait pu tourner correctement si le docteur mal-aimé n’était venu y prêter main forte depuis l’île de beauté. Afin de s’intégrer chez les Amérindiens, gagner ses titres de médecin baroudeur, voire gagner un peu la sympathie des Français, Jérôme Cahuzac aurait sans doute dû y passer au moins six mois. Sur le plateau des Grandes Gueules, l’agriculteur Didier Giraud a d’ailleurs penché dans ce sens. Mais puisqu’il a été condamné pour des faits de corruption graves, il mériterait de se purger en prison comme n’importe quel citoyen, rétorquera-t-on, ce qui amène à se poser une question : doit-on laisser croupir en cellule ceux qui ont du talent ou les rendre utiles à la société ?
Servir la France pour se réinsérer
Un jour avant que Jérôme entame sa mission en terre amérindienne, le braqueur Redoine Faïd se faisait à nouveau la belle, nous ont annoncé les journaux. Fascinée par le gangster anciennement repenti, l’actrice Béatrice Dalle s’est laissée aller, peut-être entre deux verres trop chargés, à des envolées verbales sur Twitter. Quoi qu’on pense de ce type, qui est mêlé de près ou de loin au meurtre d’une policière municipale, il y a fort à parier qu’il va soit faire encore de grosses bêtises, soit être rattrapé pour être remis en prison, où il aura tout à loisir de songer à sa prochaine évasion. On peut reprocher bien des choses à un brigand, sauf le fait d’en avoir un minimum dans la cervelle. Sans doute serait-il idiot de l’envoyer payer ses dettes en Guyane, d’où il pourrait se carapater au Surinam ou au Brésil sans trop d’obstacles, mais peut-être devrait-on penser à utiliser ses talents au service de notre DGSI, par exemple. De l’avis de certains, les graines de djihadistes feraient d’excellents militaires. Si la question reste épineuse, il ne serait pas complètement aberrant d’envisager cette voie plutôt que la seule mise à l’ombre, d’où ils sortent encore plus fanatiques. Pour racheter ses pêchés, le docteur Cahuzac aurait pu être contraint à se farcir d’autres lieux isolés guyanais, où les besoins sont grandissants. Cela aurait peut-être cloué le bec de ceux qui voient comme un privilège le fait d’aller exercer à nouveau son premier métier dans l’intérieur guyanais le plus paumé, mais qui pour rien au monde n’y mettraient les pieds.
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