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«La pandémie a transformé le paysage québécois»

Le Canada comme laboratoire du sanitarisme


«La pandémie a transformé le paysage québécois»
Des manifestants canadiens faisant face aux policiers qui tentent de les disperser, à Ottawa, le 19 février 2022 © Matt Stewart/Shutterstock/SIPA

Notre ami Jérôme Blanchet-Gravel, rédacteur en chef de Libre Média, entend sortir le Québec de sa torpeur post-Covid. Entretien.


Causeur. Comment est né Libre Média ?

Jérôme Blanchet-Gravel. De la déception face à l’absence de diversité d’opinions lors de la pandémie au Québec. Au Canada, on aime bien parler de diversité culturelle mais la grande absente, c’est la diversité d’opinions. Le Québec s’est enfoncé dans un consensus absolu, dans un conformisme absolu, dans une obéissance absolue envers l’État. Au-delà du politiquement correct et du sanitairement correct, le Québec s’est englué dans ce que j’appelle la réglomanie. J’entends par-là une tendance à tout vouloir réglementer, qui était antérieure à la pandémie et que la pandémie a amplifiée. Ça renvoie à la réglementation des parcs à chiens ou à l’existence d’inspecteurs sonores chargés par les villes de mesurer le niveau du son produit par des spectacles en plein air. Dans ce contexte, la société québécoise a de plus en plus besoin d’un vent d’air frais et d’une plus grande diversité d’opinions dans l’espace public.

Dans l’ « à propos » de Libre Média, il est question de « protéger la liberté d’expression » et « la liberté de la presse ». Mais le Canada est classé 19ème en matière de liberté de la presse par Reporters sans frontières, quand la France n’est classée que 26ème…

La liberté de la presse existe, oui, mais elle est en déclin. Une bonne partie de la population canadienne s’en est aperçue. Il y a un nombre grandissant de citoyens qui ne se sentent plus représentés dans les grands médias, et qui se sentent dénigrés par des chroniqueurs qui méprisent leurs aspirations. C’est sans doute pour cela qu’en un mois d’existence, on a ressenti un gros appétit de la population pour notre média. De plus, le sur-financement public des grands médias pose plus que jamais la question de leur neutralité au Québec et au Canada. Plus de 230 millions de dollars canadiens ont été dépensés en publicité Covid-19 dans les grands médias québécois durant la pandémie ! C’est une manière de subventionner des grands médias dont le modèle économique est en déclin et qui sont en partie sous le respirateur artificiel de l’État, notamment car ils n’ont pas su s’adapter au virage numérique. D’une façon générale, il y a eu une volonté d’intimidation de la part du gouvernement face aux médias qui tenaient un discours critique sur la gestion de la crise sanitaire. C’est extrêmement grave ! Ça m’étonne qu’il n’y ait pas un examen de conscience sur ce qui s’est passé durant la pandémie. Les gens font comme s’il ne s’était rien passé. Pourtant, la pandémie a été un tournant au point qu’il y a même eu des Québécois qui ont quitté le Québec pour les États-Unis, le Mexique ou l’Espagne. Cette émigration a été inédite.

À vous entendre, le Canada serait devenu une sorte de dictature sanitaire. Or, ce que vous pointez du doigt, c’est le consensus voulu par l’État face à la crise sanitaire. Toujours dans l’ « à propos » de Libre Média, il est aussi question de « protéger la démocratie ». Est-ce que vous n’y allez pas un peu fort ?

Durant la pandémie, on a pu remarquer à quel point les journalistes ont relayé, répondu, renforcé le discours du gouvernement. C’était une véritable orgie de consensus, c’était dégoulinant, ça n’avait aucun bon sens. Dans tout le Québec, pendant deux ans, sur une population de 8,5 millions d’habitants, on était à peine dix journalistes à tenir un discours critique à l’endroit du gouvernement de François Legault, le Premier ministre du Québec. Le Canada s’enfonce dans une sorte de puritanisme. Il y a des mécanismes de contrôle de la pensée formelle et informelle qui font en sorte que si vous tenez tel propos, vous ne pourrez pas accéder à une fonction de professeur d’université ou vous ne pourrez pas accéder à telle position dans la fonction publique, ce qui pose un problème éthique et démocratique. Il ne faut quand même pas être naïf ! Il y a toute une série de mécanismes de contrôle du discours public, qui ont été renforcés par la pandémie. Ces consensus existent chez vous sur certains sujets. Il y a des choses que l’on ne peut plus vraiment dire en France sur l’immigration, par exemple. Au Canada, ce phénomène concerne désormais la pandémie.

À l’approche des élections du mois d’octobre, il est sûr que nous ne ferons pas de cadeaux au gouvernement Legault

Vous dites que l’on ne peut pas tout dire mais à ce que je sache, Libre Média n’a pas été victime de censure…

Pour l’instant non, mais on émerge. Le climat social est au conformisme, au Québec. Évidemment, que le Québec n’est pas une dictature ! Mais un contrôle du discours s’y exerce de manière très subtile et très informelle. Je n’ai pas l’impression que le Canada soit beaucoup plus libre, sur le plan de l’expression, que d’autres pays comme la France, classée plus bas en matière de liberté de la presse. De plus, il y a un manque de courage au Québec qui me désespère ! Les gens sont à genoux devant la bien-pensance du gouvernement et il n’y a jamais rien qui sorte des sentiers battus.

Je comprends bien que Libre Média souhaite sortir des sentiers battus mais où se situe-t-il dans le clivage gauche-droite ?

Nous entendons dépasser ce clivage, justement. La pandémie a créé un nouveau paradigme et on s’est rendu compte que l’ancien clivage gauche-droite était quasiment dépassé. Avant la pandémie, il y avait le clivage gauche-droite sur l’économie ou le clivage nationaliste-fédéraliste. Désormais, il y a un troisième clivage qui émerge, celui entre technocratie et opposition à celle-ci, entre contrôle social et libéralisme. Entre la technocratie et le reste. La question qui se pose à travers ce nouveau clivage est : à quel point êtes-vous pour la présence de l’État dans le contrôle de votre vie ?

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Que l’État contrôle plus ses citoyens depuis la pandémie, c’est une chose. Mais en opposant la technocratie au peuple, ne craignez-vous pas de tomber dans le cliché du « bon peuple » face aux « méchantes élites » ?

Non, pas vraiment. D’abord, on peut se demander si on a véritablement des élites au Québec. On y a plutôt des espèces de notables de province, qui ne sont pas tout à fait des élites. Les « élites » du Québec y restent plus accessibles qu’en France, c’est un pays qui est moins vertical. Cependant, un clivage existe entre les « élites » et le peuple, comme on l’a vu durant la révolte des camionneurs, où il y a eu un mépris des aspirations populaires. On a vu aussi qu’il existait un clivage économique. Certains ont passé un confinement très confortable, car ils avaient de belles maisons spacieuses, pendant que d’autres n’avaient pas les moyens de se payer ce luxe. Pour autant, est-ce que Libre Média tombe dans un esprit manichéen ? Je ne pense pas. Mais nous sommes très critiques du bilan du gouvernement de François Legault, oui, et là-dessus, nous sommes clairs. À l’approche des élections du mois d’octobre, il est sûr que nous ne ferons pas de cadeaux au gouvernement Legault qui bénéficie, encore une fois, d’un regard extrêmement complaisant sur son bilan de la part d’un grand nombre de confrères. Mais nous ne sommes ni de gauche, ni de droite.

« Ni de gauche, ni de droite » peut-être mais dans Libre Média, on trouve une chronique sur le thème de l’identité nationale -un thème prisé par la droite-, un entretien avec l’essayiste de droite Guy Millière et pour votre part, vous avez interviewé le nouveau chef du Parti conservateur du Québec. Jusqu’à présent, on ne peut pas dire que les personnalités classées à gauche aient une grande couverture dans Libre Média

Nous avons aussi interviewé le philosophe Alain Deneault, qui est l’un des intellectuels de gauche les plus connus au Québec. De plus, nous sommes aussi critiques des paradis fiscaux. Je ne dis pas ça seulement pour défendre mon média, mais si vous regardez la couverture des nouvelles internationales, nous ne sommes pas tout à fait dans la droite au sens propre. Nous avons un volet qui frôle presque la gauche humanitaire, nous avons une sensibilité pour des questions internationales comme celle de la faim dans le monde et nous nous intéressons aussi à l’Amérique latine. Cela pour dire que c’est plus fin que ce que vous pourriez penser ! Vous trouverez aussi un discours très critique à l’endroit des firmes pharmaceutiques, qui pourrait presque rejoindre la gauche anticapitaliste. De plus, on vient de publier une lettre ouverte d’un professeur d’université très connu au Québec, qui remet en cause les intérêts privés. On est critique de l’État mais aussi des grandes entreprises multinationales comme les GAFAM, qui tendent également à nous imposer un modèle, comme celui de la réalité virtuelle. Nous réagissons à tout ce qui nuit à l’autonomie des communautés et qui est imposé par le haut, que ce soit les entreprises multinationales ou l’État car encore une fois, la pandémie a transformé le monde.

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J’ai l’impression qu’elle a surtout transformé le Québec… Libre Média a déroulé le tapis rouge au professeur Christian Perronne. Caution scientifique du film Hold Up, Christian Perronne a affirmé que les malades du Covid-19 représentaient une aubaine financière pour les médecins et a vu dans l’hydroxychloroquine la nouvelle eau bénite. Plus récemment, il a affirmé qu’il y avait en France « une épidémie de stérilité » due aux vaccins. Est-ce pour cela que vous l’avez invité ?

Pas spécialement pour cette raison, non, mais nous tenions à lui donner la parole, oui. Au Québec, tous les experts critiques de la gestion de la crise sanitaire ont été censurés. Un journaliste de Radio-Canada a interviewé le professeur Didier Raoult, la direction l’a réprimandé et il a finalement quitté Radio-Canada pour un autre média. Dans le contexte québécois, je pense donc qu’un discours comme celui de Christian Perronne doit être entendu. Cela veut-il dire que Libre Média y adhère comme un seul homme? Je ne le pense pas. Noir sur blanc, Libre Média a averti ses lecteurs que Monsieur Perronne avait fait l’objet de controverses scientifiques importantes en France, mais que nous considérions son point de vue comme assez important pour être entendu dans le cadre d’un débat démocratique. Nous pensons que nos lecteurs et auditeurs sont assez intelligents pour se faire leur propre opinion. Il y a eu un tel déficit de points de vue et de diversité d’opinions que dans le contexte québécois, je ne pense pas que le professeur Perronne menace quoi que ce soit. C’est de bonne guerre, finalement.

Outre des articles, Libre Média propose une chaîne de webtélé. Pourquoi les quatre épisodes proposés sont-ils tous consacrés à la pandémie de Covid-19 ?

Je crois que les Français mesurent mal à quel point la pandémie a transformé le paysage québécois. On a quand même continué à vivre en France durant la pandémie, beaucoup moins au Québec, qui s’est transformé en véritable dortoir. Quand je suis venu à Paris au début de cette année, le passeport vaccinal était encore en vigueur et certains cafés ne le réclamaient pas à leurs clients, chose impensable au Québec, où nos serveurs se prenaient pour de véritables douaniers ! On va probablement ressentir les effets de la pandémie durant les dix ou quinze prochaines années. Ce point de vue n’est pas que le mien, c’est celui d’une bonne partie de la population québécoise. On ne va pas parler éternellement du Covid-19 dans Libre Média, mais les Français doivent bien comprendre à quel point le Canada est un laboratoire de ce que j’appelle le sanitarisme, et à quel point ça a été une surprise, y compris pour moi-même ! Ce mouvement émergent est en train de tuer toute la vie sociale au Québec. J’invite les lecteurs de Causeur à faire un effort pour saisir à quel point la pandémie a été un tournant au Québec car malheureusement, quelque chose s’est cassé durant cette période. Cependant, nous souhaitons aussi ouvrir le Québec à l’international. Le Québec vit dans sa bulle et est assez centré sur lui-même, nous allons donc essayer de « sortir les Québécois de leur zone de confort ».

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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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