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Jean Sévillia, historien de France


Jean Sévillia, historien de France

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Omerta sur Sévillia : le petit cercle de ceux qui savent ce qui est bon a décrété que l’Histoire passionnée de la France, que l’essayiste vient de faire paraître, était « trop à droite », « trop traditionnelle » ou « trop catholique » pour mériter une recension digne de ce nom. Ce mauvais coup n’empêchera pas le  succès de l’ouvrage, mais il n’en suscite pas moins la curiosité : pourquoi tant de haine ? Ou encore, pour reprendre la formule d’Alain Badiou : De quoi Jean Sévillia est-il le nom ?

1) Il est le nom d’une forme d’hystérie qui voit sa tentative de réaffirmer la gloire du « roman national » comme une atteinte insupportable au politiquement ou à l’historiquement correct.

Ce qu’on lui reproche, c’est de redire l’essentiel : la singularité (la France n’est pas n’importe quel pays) et la continuité (nous sommes au premier chef des fils, des débiteurs, redevables à nos aïeux de ce trésor patiemment accumulé), le poids des siècles et le prix de l’effort, les héros, les martyrs et les criminels, la grandeur de l’œuvre et sa fragilité – la France pouvant disparaître à chaque instant. Le « roman national » selon Sévillia tient de la chanson de geste, de l’épopée, de la tragédie, parfois du vaudeville, jamais de la bluette ni du catéchisme républicain : mauvais point.[access capability= »lire_inedits »]

2) Il est le nom d’un déclin de la culture historique. À cet égard, le parallèle entre l’ouvrage de Sévillia et le livre qui constitue son modèle, l’Histoire de France de Jacques Bainville, paru en 1924, paraît significatif de ce que le lecteur contemporain est désormais susceptible de comprendre : si, par comparaison, et quelles qu’en soient les éminentes qualités, l’ouvrage de Jean Sévillia paraît parfois presque simpliste, ce n’est pas la faute de son auteur, mais celle du public auquel il est destiné. Une nation, expliquait Renan, est un principe spirituel constitué par « la possession en commun d’un riche legs de souvenirs » et par « la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis ». Or, l’Histoire d’aujourd’hui n’est plus cette chose commune qui fonde l’identité et le désir de poursuivre ensemble l’aventure nationale. C’est la chasse gardée d’une poignée de spécialistes qui, pour certains du moins, interdisent à quiconque n’appartient pas au sérail de prendre la parole sur le sujet. D’où les procès en ignorance que certains ont cru pouvoir intenter à Stéphane Bern il y a quelques années, à Lorant Deutsch il y a quelques mois et à Jean Sévillia aujourd’hui : le moindre de leurs reproches étant que, de nos jours, il ne serait même plus imaginable de prétendre écrire une histoire de la France – le motif véritable de leur ire étant ailleurs, dans l’orientation qu’ils jugent vraisemblablement « nauséabonde » de ces ouvrages, et dans leur énorme succès public. En somme, la « véritable » Histoire n’appartiendrait plus qu’aux spécialistes, le Français moyen devant se contenter d’une version affadie, éparpillée et masochiste, celle que relaient les programmes scolaires et que les élèves « normaux » s’empresseront d’oublier dès qu’ils auront franchi les portes de l’école : tout, sauf le fondement d’une amitié. Tout, sauf le tissu constitutif d’une nation.

3) Il est le nom d’une persistance du courage, celui d’un auteur prêt à affronter la meute pour rappeler à ses concitoyens ce qui fonde leur identité. Tel est au fond le propos de Jean Sévillia  : faire en sorte que cette Histoire ne soit plus, pour ses lecteurs, un chaos absurde et inintelligible, mais le récit d’un effort, d’une construction. La faire comprendre pour la faire aimer, et pour faire aimer avec elle le résultat de cet effort, la France elle-même, dans l’épaisseur de son destin.[/access]

 

Jean Sévillia, Histoire passionnée de la France, Perrin, 2013.

*Photo : BALTEL/SIPA. 00543461_000011.

Décembre 2013 #8

Article extrait du Magazine Causeur



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est né en 1964. Il est professeur de droit public à l’université Paris Descartes, où il enseigne le droit constitutionnel et s’intéresse tout particulièrement à l’histoire des idées et des mentalités. Après avoir travaillé sur l’utopie et l’idée de progrès (L’invention du progrès, CNRS éditions, 2010), il a publié une Histoire de la politesse (2006), une Histoire du snobisme (2008) et plus récemment, Une histoire des best-sellers (élu par la rédaction du magazine Lire Meilleur livre d’histoire littéraire de l’année 2011).

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