Quand l’histoire est caricaturée, Jean Sévillia pointe son nez. Dans Les Vérités cachées de la guerre d’Algérie, l’auteur d’Historiquement incorrect livre une synthèse de ces « évènements » débarrassée de repentance et de bons sentiments.
« En peu d’années, l’insurrection algérienne, lancée par quelques bandes de maquisards armées de vieux fusils, s’est transformée en une véritable guerre. Et cette guerre a installé une tragédie au cœur de la vie française, divisant profondément le pays », écrit Jean Sévillia. Cette « tragédie » était trop caricaturée pour que l’auteur d’Historiquement incorrect n’y plongeât pas, avec la rigueur et l’entrain qui le caractérisent. Le résultat de ce travail, qu’on imagine de longue haleine tant il s’appuie sur les sources les plus diverses, est une remarquable synthèse. Si elle fera grincer les dents de certains universitaires, les autres s’inclineront devant le récit nuancé de ces cent trente-deux années d’histoire qui s’achevèrent par une indépendance aussi logique que douloureuse.
Qui se souvient des esclaves des Barbaresques ?
Jean Sévillia souligne que c’est l’intervention française de 1830 qui donna naissance à l’Algérie. Certes, cette terre était peuplée, composée de tribus soumises à la Sublime Porte par le truchement d’une régence largement autonome ; il y avait là une société ancienne, complexe, cimentée par une foi ardente ; la piraterie en Méditerranée était la passion de ces Barbaresques, qui en tiraient l’essentiel de leurs revenus et d’incalculables esclaves pour lesquels, d’ailleurs, nul n’a jamais demandé ni présenté d’excuses. Mais cela ne fait pas une nation. L’islam en est un excellent substitut : c’est en son nom que, dès 1832, l’émir Abd el-Kader mène une brillante guérilla.
Une conquête impopulaire
Venues venger le consul de France et plus encore démontrer la vigueur du régime de Charles X, nos troupes, toujours plus nombreuses, vont devoir réaliser une conquête qui n’enthousiasme ni l’opinion ni les gouvernements. Au fond, seuls les militaires trouvent leur compte dans cette épopée ; leur brutalité, cependant, « déclenchera une indignation telle qu’une commission parlementaire, présidée par Tocqueville (…) exigera le rappel de Bugeaud », le grand homme de l’invasion. La mise en valeur de cet immense et pauvre territoire sera ardue ; ce sont surtout des Espagnols, des Italiens, des Maltais qui viendront bâtir l’Algérie française. Ils affronteront le choléra, l’avarice des sols et les fréquents soulèvements des autochtones ; en moins d’un siècle, ils formeront une communauté soudée, à la fois culturellement atypique et semblable à la métropole politiquement. L’œuvre de ces « colons » est-elle honteuse ? L’est-elle davantage que celle des Américains passant sur le corps des « Peaux-Rouges » pour atteindre le Pacifique ? La population musulmane, elle, ne cessa de croître – et même d’exploser – durant la période. Paradoxal « génocide », non ?
Une décolonisation logique
Après bien des hésitations, la France permit aux musulmans de devenir des citoyens français à part entière : ils refusèrent tous, moins par patriotisme que par fidélité à l’islam et ses coutumes. En 1945, l’ampleur des massacres de Sétif, sur lesquels Jean Sévillia s’attarde, manifesta la puissance des séparatistes. L’heure était à la décolonisation. Mais, avant d’être un slogan, « Algérie française » était une réalité administrative, celle de trois départements. Imagine-t-on les Côtes-d’Armor faire sécession ? Paris ne pouvait pas négocier avec les rebelles, dont les attentats tuaient chaque jour des civils, qui combattaient nos soldats et les « traîtres » avec une absolue férocité – que les paras leur rendaient bien. La « tragédie » devait durer plus de sept ans. La vérité, c’est que la démographie rendait la fuite des pieds-noirs inéluctable : ultra-majoritaires, les musulmans ne pouvaient plus accepter la domination de ceux qu’ils considéraient comme des spoliateurs et des mécréants.
Et la France fut condamnée…
Seule une autorité incontestable, capable d’assumer des pouvoirs extraordinaires, était en mesure d’imposer ce dénouement. Le Général le fit avec son habituel génie mais aussi un évident mépris pour ses compatriotes d’Algérie, au moment où le monde intellectuel peignait ces derniers en fascistes mangeurs d’Arabes. Oui, la rupture était fatale, mais De Gaulle devait-il pour autant livrer le pays au FLN qui, l’encre des accords d’Évian encore humide, se vengea, en particulier à Oran où tant de Français disparurent ? Ces morts-là ne sont l’objet d’aucun « devoir de mémoire » ; notre mauvaise conscience les voue à l’oubli, tandis que l’État honore aujourd’hui les « porteurs de valises ». Nos ennemis ont toujours eu raison ; désormais, c’est avec leurs yeux que nous regardons notre passé.
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De la Toussaint sanglante à la fusillade de la rue d’Isly en passant par la manifestation du 17 octobre 1961, Jean Sévillia relit tous les grands épisodes de cette guerre intestine. Il compare les chiffres, démasque la propagande, replace la cruauté du conflit dans celle de l’époque. On ne croit pas trahir sa pensée en disant qu’il a du respect pour les indépendantistes mais que leur sanctification l’agace. Preuves à l’appui, son livre invite en tout cas à considérer la guerre d’Algérie comme un événement tortueux, duquel émergent autant de salauds que de braves, et ce dans les deux camps. On retiendra également cette charmante embardée, extraite de la déclaration du président des Oulémas, en 1936 : « Ce peuple musulman algérien n’est pas la France, il ne peut pas être la France, il ne veut pas être la France, il ne veut pas l’être et, même s’il le voulait, il ne le pourrait pas, car c’est un peuple très éloigné de la France par sa langue, ses mœurs, son origine et sa religion. Il ne veut pas s’assimiler ». C’est lui qui le dit.
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