La star de TF1, attachée à la France profonde et à l’identité de nos terroirs, une exception dans un petit monde médiatique très parisien, s’est éteinte hier mercredi, à l’âge de 71 ans.
Jean-Pierre Pernaut, si on se fie à sa date de naissance, 1950, était un baby-boomer. A lui les trente glorieuses, dans une France où chaque année qui passait allait être meilleure que la précédente.
Le successeur d’Yves Mourousi
On a cru que cela aurait pu durer une éternité, on avait juste oublié que le capitalisme enchaine les crises, que ces trois décennies étaient en fait une parenthèse heureuse, rien de plus. Jean-Pierre Pernaut, et il avait bien raison, n’aimait pas les idées générales. Il préférait la sensation. À sa manière, il était un poète. Il a bien senti que les années 80 derrière leur côté ultra-festif avec le fric et la coke comme valeurs cardinales, ça allait sérieusement altérer notre perception, qu’on allait perdre de vue la réalité. Le dédoublement numérique du monde, presque total aujourd’hui, nous ferait oublier l’essentiel : on vit dans un pays magnifique pour qui sait la beauté d’une sous-préfecture au matin, la façade désuète d’un cinéma à La Souterraine, et ces magasins aux enseignes dont le lettrage était déjà démodé au moment de la guerre d’Algérie.
Finalement, quand il a succédé au très noctambule et people Yves Mourousi, pour le 13 heures de TF1 privatisée par Bouygues, cela signifiait une forme de nostalgie, là où tant d’autres ont vu un retour à l’ordre. Il est vrai qu’au même moment, on virait Polac de “Droit de Réponse”. Il n’empêche : le JT de Pernaut s’est transformé en un manifeste. On a dit que c’était un manifeste de droite, voire poujadiste parce qu’il était essentiellement regardé par des retraités et des femmes au foyer.
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Cette France qu’on ne voulait plus voir
C’est vrai que ça tapait dur sur les fonctionnaires, les cheminots, les profs à l’occasion. Mais l’essentiel n’était pas là. L’essentiel était que Jean-Pierre Pernaut, Picard fidèle à la Picardie où il a fait ses débuts dans le journalisme, Picard qui a vu le nom même de Picardie disparaître d’un coup de ciseau administratif lors de la naissance des grandes régions qui ne correspondent qu’à une réalité administrative et non plus à un lien charnel, a vu aussi disparaître une France des terroirs. Ou plutôt, – il a intuitivement compris cette évolution, ce qui a fait son succès d’audience et sa longévité à l’antenne – , la France des terroirs n’avait pas disparu mais on ne voulait plus voir car elle n’était plus très glamour. Les fraises de Beaulieu-sur-Dordogne, les harmonies municipales du Berry, les géants des carnavals dans toutes les petites villes du Nord, vraiment, vous trouvez ça intéressant ? À l’époque des nouvelles technologies, des trains à grande vitesse, des métropoles hyper connectées ? Oui, a répondu Jean-Pierre Pernaut, non seulement je trouve ça intéressant, mais je trouve ça vital.
Une question d’identité, mais d’identité heureuse. Libre à une fraction de la gauche, la fraction « morale », de trouver cela réac. À ce moment-là, il faudra admettre que l’Aragon de « Je vous salue ma France aux yeux de tourterelle » ou du « Conscrit des cent villages » était réac lui aussi. Écoutez plutôt :
Cela aurait pu être récité à chaque 13h de Pernaut. Après tout, ce n’était pas de sa faute si la mondialisation avait été décrétée heureuse par une micro élite libérale-libertaire, tandis que n’importe quel corso fleuri, n’importe quelle criée aux poissons ou foire aux bestiaux à Saint-Léonard-de-Noblat devenaient intrinsèquement moisis, voire fascistes.
Dupont-Aignan le voyait ministre
Il n’a jamais voulu pour autant apparaître comme le type de droite, il a refusé des offres de Dupont-Aignan qui voulait faire de lui un ministre de l’Aménagement du territoire. C’est qu’aimer la France n’est pas l’apanage de la droite, c’est l’apanage des Français de tous bords qui, comme Pernaut, préfèrent dire « campagne » à « ruralité » et « en province » à « en région ».
Ce n’est pas un programme politique, c’est un programme esthétique. C’est largement aussi important et il me plait de penser que quelque part, dans un chef-lieu de canton ensoleillé, par la fenêtre ouverte sur le mail, on entend encore la voix de Jean-Pierre Pernaut qui sort d’une vieille télé à tube cathodique.
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