Entretien avec Jean-Pierre Obin, qui publie Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école
Par où commencer ? Par ce professeur d’histoire non musulman qui enseigne avec le Coran sur son bureau pour rassurer ses élèves, par ces mystérieuses « allergies au chlore » qui contaminent principalement des élèves musulmanes ou par ces bambins de CE2/CM1 défilant dans leur cour de récré au cri de « Allah Akbar » ?
Par un ouvrage s’attelant à démonter la théorie de l’évolution des espèces – et qui a circulé dans certains collèges publics – écrit par un professeur agrégé de biologie et formateur à l’institut de formation des maîtres (IUFM) de l’académie d’Amiens ? Par ce proviseur du Nord de la France qui s’est vanté dans les médias locaux de sa conception d’ « une laïcité repensée » et qui a confié à une revue que dans la cantine de son lycée, « tout le monde mange halal, y compris les non-musulmans » (pour être ensuite recadré par l’inspection générale) ou par cette principale d’un collège de l’Essonne qui a accordé une « salle de repos pour élèves musulmans » lors du ramadan ?
En se laissant happer par Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école, il se dégage parfois l’étrange impression d’avoir entre les mains un roman narrant une république en déliquescence, à côté duquel Soumission de Michel Houellebecq fait presque figure de conte pour enfants. En 2020 en France, l’école représente une forteresse dont les islamistes veulent s’emparer en priorité. Depuis 2004, l’ancien inspecteur de l’Éducation nationale Jean-Pierre Obin alerte les autorités publiques. Entretien.
Causeur. D’après une étude de l’IFOP, 57% des musulmans français de 15 à 24 ans sont d’accord avec l’affirmation : « La loi islamique est plus importante que la loi de la République ». N’est-ce pas un échec patent de l’Éducation nationale ?
Jean-Pierre Obin. Cela confirme ce que j’appelle la porosité à l’islamisme des jeunes musulmans. Depuis l’étude d’Hakim El Karoui pour l’institut Montaigne en 2016, on voit qu’ils se démarquent en cela de leurs aînés. Parmi ces jeunes, beaucoup sont en effet nos élèves. Les atteintes à la laïcité que l’on voit à l’école sont le reflet de la société. Et contrairement à une idée reçue, ce n’est donc pas par les parents que se transmet principalement l’islamisme à ces jeunes, qui sont d’ailleurs de plus en plus jeunes: le nombre d’incidents à l’école primaire est croissant. Sans doute les influences des prédicateurs de quartiers ou sur internet participent-elles beaucoup à cette inquiétante évolution, mais on n’a pas beaucoup de renseignements sur ces influences faute de recherches sur cette question.
Et l’Éducation nationale ne peut-elle pas contrer ces influences ?
Il le faudrait bien sûr. Le problème, c’est que les enseignants sont très mal armés pour répondre à ce problème parce qu’ils ne sont pas formés. En raison d’un déficit de formation considérable à ce niveau, ils n’ont aucun moyen de comprendre ce qui se passe chez ces élèves et d’avoir des réponses pertinentes aux atteintes à la laïcité. Seulement 6% des enseignants ont suivi un stage dans leur carrière sur la laïcité, ce qui est catastrophique. À l’heure actuelle, ils n’ont pas suffisamment de connaissances ou de compétences pour faire face à ces problèmes.
Dans l’énorme machine administrative de l’Éducation nationale, la culture est celle du « pas de vagues »
En effet, il y a de quoi être effondré en lisant votre livre. Des voix s’élèvent, et pas seulement à la droite de la droite – je pense à l’astrophysicien et chercheur au CNRS Jean Audouze notamment – pour réclamer un plan Marshall pour l’Éducation nationale. Ont-ils raison ?
En tous cas moi, je réclame depuis longtemps un plan de formation massif des enseignants, et pas seulement par rapport à la laïcité. Ce qui est en cause, c’est bien plus large, ce qui est attaqué par l’islamisme, c’est non seulement l’ensemble des valeurs de la République – liberté, égalité, fraternité, laïcité – mais aussi tout simplement les valeurs de la modernité. Pour les islamistes, le progrès, la tolérance, l’humanisme sont des valeurs exécrables. L’islamisme est une idéologique politique qui se sert de la religion pour parvenir à ses fins, qui veut imposer un régime totalitaire. Cela s’est passé en Iran, en Irak et en Syrie. Les enseignants et les élèves dont nous parlons vivent dans deux mondes différents. Le monde de ces derniers est entièrement régi, de la vie la plus intime à la vie sociale et politique, par la religion, ce qui était le cas en France il y a quelques siècles, d’autant plus avec la puissance de la confession, qui faisait que le curé pouvait tout contrôler. Pendant ce temps, nos enseignants vivent dans un monde complètement sécularisé, et depuis plusieurs générations pour certains d’entre eux. Comme le dit Marcel Gauchet, nous sommes devenus des analphabètes religieux, nous ne savons plus ce que c’est que la religion. La première chose qui serait nécessaire aux enseignants serait donc de connaître les religions, notamment la religion musulmane. La deuxième chose, ce serait de connaître l’islamisme, c’est à dire l’idéologie politique auxquels beaucoup de ces élèves sont soumis, afin de comprendre leurs réactions. Quand on voit un imam qui demande que les vestiaires des garçons soient séparés entre musulmans et non musulmans, on ne comprend pas pourquoi. Il suffit pourtant de lire les textes islamistes pour voir que c’est pour eux une question théologique de pureté, car il y a les circoncis et les non-circoncis. Il faut pouvoir comprendre ça pour pouvoir le combattre. Si on pense seulement que c’est un truc d’imbécile et que c’est ridicule on passe à côté. Il y a donc un énorme travail à faire pour l’ensemble des enseignants. Si vous voulez utiliser la métaphore du plan Marshall, pourquoi pas oui !
Lors de son arrivée à la tête du ministère de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer a semblé avoir conscience de l’urgence à contrer l’offensive de l’islamisme à l’Éducation nationale. Mais il ne peut pas être évidemment dans chaque académie à la fois. Même avec de la bonne volonté, peut-il vraiment y arriver seul ?
Il est assez seul, c’est vrai. Dans l’énorme machine administrative de l’Éducation nationale, la culture est plutôt celle du compromis, du « pas de vagues », de la poussière sous le tapis.
Et sur 1000 signalements en un an des atteintes à la laïcité, 12% sont le fait de personnels de l’Éducation nationale ! N’y a-t-il pas un gros problème sur la définition même de laïcité au sein des personnels de l’Éducation nationale ?
Bien sûr que oui, les conceptions des enseignants sont floues. Je pense qu’il faudrait donner une définition simple et claire de la laïcité que les enseignants pourraient appliquer et transmettre à leurs élèves.
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À l’heure actuelle, seulement 6% des enseignants ont suivi une formation sur la laïcité. Au vu de l’évolution de l’emprise islamiste sur l’école depuis 2004, que vous décrivez dans votre ouvrage, comment ce chiffre peut-il être si ridiculement bas ?
Parce que ça n’a jamais été une priorité pour l’Éducation nationale. Depuis Bonaparte, l’école française, du moins le secondaire, fonctionne sur l’idée qu’il suffit de connaître sa discipline pour bien enseigner. On y valorise systématiquement la formation académique au détriment de la pédagogie et de l’éducation aux valeurs de la République. Il ne suffit pas d’écrire dans l’article premier du Code de l’éducation que « la mission première de l’école est de faire partager aux élèves les valeurs de la République », il faudrait aussi l’inscrire dans la formation et ceci s’oppose à toute une tradition française de l’excellence académique.
La déchristianisation de la France est en phase terminale, si l’on écoute Jérôme Fourquet. Nos dirigeants brandissent régulièrement la République et la laïcité comme des étendards mais peut-on vraiment croire en la laïcité comme on croit en Dieu ?
C’est une question bizarre.
Pourquoi ? « Chassez le christianisme, vous aurez l’islam », écrivait déjà Chateaubriand…
La laïcité est un principe constitutionnel qui a pour conséquence que les pouvoirs publics sont neutres par rapport aux religions. L’ensemble desinstitutions publiques, et donc l’ensemble des agents publics, doit garantir la liberté de conscience et la liberté de culte. Ça n’a donc rien à voir avec une religion.
Justement, ne pensez-vous pas que les gens ont besoin de croire en autre chose qu’un principe constitutionnel ?
Non je ne le pense pas. Seuls 27% des Français croient en l’existence d’un Dieu selon une étude de la Commission européenne de 2010.
Mais pourquoi la laïcité apparaît comme quasiment oppressive chez nombre de compatriotes croyants, et pas seulement musulmans, alors qu’elle nous permet au contraire d’être libres ?
Parce qu’elle est mal expliquée. Il y a sans doute un effort de pédagogie à faire, mais je vous assure qu’avec mes étudiants issus de culture musulmane qui arrivaient avec leurs idées reçues, j’arrivais à les déconstruire assez rapidement. Il suffit de regarder les délibérations de la commission Stasi. Quand ses membres ont été nommés, ils étaient a priori hostiles à une loi sur la question des signes religieux dans les établissements scolaires. Ils ont tous changé d’avis sauf un. Pourquoi ? Parce qu’ils ont entendu des proviseurs et des enseignants leur relater les pressions que devaient supporter ceux qui, notamment les filles, ne s’inscrivaient pas dans la norme religieuse islamiste. Pour les protéger de ce prosélytisme ils sont devenus favorables à une loi qui, au nom du principe de laïcité, protège la liberté de conscience. À partir du moment où la liberté de conscience n’était plus préservée dans l’établissement scolaire, il fallait tenter de la rétablir, c’est ce qui a été fait. Evidemment, on ne l’a pas rétablie totalement car le voile est l’arbre qui cache la forêt. Et aujourd’hui encore, dans les établissements scolaires, la liberté de conscience n’est pas suffisamment garantie, ce qui est un grave problème.
Venons-en au blasphème. Dans un sondage IFOP commandé par Charlie Hebdo en août, la moitié des Français a déclaré ne pas être « favorable au droit de critiquer, même de manière outrageante, une croyance, un symbole ou un dogme religieux », pourtant autorisé par la loi de juillet 1881 sur la liberté de presse. Dans ces conditions, comment faire accepter à des adolescents ce que la moitié des Français n’accepte pas ?
C’est difficile, ça nécessite beaucoup de pédagogie et l’on voit aujourd’hui que c’est même dangereux. Mais il est essentiel de faire comprendre la conception française de la liberté de conscience et de la liberté d’expression. Cela peut passer par les caricatures, qui sont loin d’être toutes anti-religieuses mais qui sont souvent politiques. Il fait partie de la tradition française de la caricature de se moquer d’hommes politiques, de partis politiques et, pourquoi pas, de cultes religieux. Il y a tout un travail pédagogique pour le faire comprendre à tous les Français, ce qui ne veut pas dire que l’on va systématiquement faire de la provocation en utilisant des caricatures anti-islam.
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Vous soulignez dans votre ouvrage l’irénisme des enfants des années 1970 bercés dans l’ « illusion de la fin de l’histoire ». L’ immixtion de l’islamisme dans l’école publique laïque traduit-elle un conflit de civilisations ?
Si ce conflit de civilisations existe, il existe dans la société et pas seulement dans l’école. En effet, nous sommes plutôt dans un conflit de civilisations que dans la fin de l’histoire.
Avez-vous un peu d’espoir pour enrayer cela à l’école ?
Ce qui est sûr, c’est qu’il y a des gens qui se battent sur le terrain. Moi je suis du côté des gens qui se battent plutôt que de celui des gens qui se plaignent. Mon livre est un livre de combat, je souhaite que l’opinion publique, la société, et surtout l’Éducation nationale soutiennent les gens qui se battent plutôt que de les abandonner ou même de chercher à les détruire. Cela ne se fera pas sans plus de mixité sociale à l’école. Tous les militants laïques de quartiers sensibles le disent bien. À partir du moment où ces jeunes vivent en autarcie culturelle et religieuse, comment et à quoi les intégrer ? Cela se fait par une politique de long terme et non pas à coups de baguette magique. Je suis profondément sceptique sur tous les « faut qu’on », « y’a qu’à » et solutions à court terme démagogiques telles que celles que préconise le général Pierre De Villiers par exemple.
L’islamisme est un phénomène mondial et ancré dans le temps. Il faudra donc des politiques de longue durée, sans doute sur plusieurs générations. Retrouver de la mixité sociale et s’opposer à l’archipellisation de la société, pour reprendre l’expression de Jérôme Fourquet, prendra beaucoup de temps.
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