Quinze ans après son rapport alarmant sur les atteintes à la laïcité en milieu scolaire, Jean-Pierre Obin publie Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école. La « surenchère éducative » qu’il préconise comme remède ne semble toutefois pas suffisante aux yeux de Françoise Bonardel.
Il est rare qu’une enquête aussi documentée et argumentée constitue aussi un témoignage personnel direct et engagé : celui d’un ancien Inspecteur général de l’Éducation nationale confronté depuis une trentaine d’années à l’islamisation progressive de l’école publique française, et qui alerta en vain son ministère de tutelle dans un rapport[tooltips content= »Jean-Pierre Obin (avec 9 autres inspecteurs généraux), Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires, La Documentation française, 2004. Jean-Pierre Obin est en outre l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages portant sur des questions éducatives. »](1)[/tooltips] qu’on s’empressa d’enterrer jusqu’à ce que les attentats de 2015 lui redonnent toute son actualité. Son témoignage est d’autant plus précieux qu’il est celui d’un homme de gauche qui analyse sans parti pris les faiblesses et démissions de sa propre famille politique face à ce phénomène inédit, et n’accable pas par principe ses adversaires de droite qui, s’ils n’ont pas fait mieux, n’ont pas forcément fait pire. Voilà donc un livre d’une rare équité que devraient lire tous les professeurs des écoles et enseignants du secondaire, et qui a le mérite d’attirer l’attention sur la partie immergée de l’iceberg et pas seulement sur le terrorisme qui en est la forme visible la plus exacerbée.
Analyse minutieuse
Évoquant à plusieurs reprises l’histoire de sa famille qui lui a transmis le respect des « valeurs républicaines » et du « principe de laïcité », Jean-Pierre Obin invite les responsables politiques, les enseignants et acteurs sociaux à davantage de lucidité et de courage face à la tragédie qui est en train de se jouer sous leurs yeux, puisque c’est la cohésion sociale et l’unité nationale qui sont aujourd’hui menacées par l’islamisme radical. C’est donc là un message fort, étayé par une analyse minutieuse et circonstanciée des principales situations de crise devenues fréquentes au sein de l’école publique, et auxquelles les responsables administratifs et les enseignants ne savent quelle réponse adéquate apporter : repli identitaire, rejet de la modernité et contestation des contenus scolaires, fanatisme religieux, fascination pour la violence et haine de la France ; tout cela entraînant des revendications permanentes quant à l’aménagement d’un régime scolaire spécial pour ceux des musulmans qui se démarquent ainsi clairement des « Français » qui ne sont pour eux que des mécréants.
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L’enquête devient d’autant plus accablante qu’elle est irréprochable, et met au jour l’incompétence, l’inorganisation et l’improvisation caractérisant les mesures jusqu’alors prises en France pour protéger l’école de l’infiltration islamiste. La question que se pose à ce sujet l’auteur est aussi simple que les réponses possibles s’annoncent diverses et complexes : Qu’avons-nous collectivement raté pour que l’école publique ne soit plus capable de faire respecter le « principe de laïcité » ? Passe encore de n’avoir rien « vu venir », à supposer que cela soit vrai ; mais que faire quand ce qu’on sait désormais interdit de continuer à faire l’autruche ? L’écart commence alors pour le lecteur à se creuser entre la rigueur de l’enquête et les quelques « pistes pour l’avenir » proposées par l’auteur en vue d’une « reconquête » qui pourrait s’étaler dit-il sur plusieurs générations. Mais qui dit que l’aggravation constatée entre 1995 et aujourd’hui ne va pas s’accélérer au point de rendre irréversibles certaines des situations décrites dans ce livre ?
L’école, microcosme menacé
Aussi prudent que modeste, Jean-Pierre Obin propose en effet quelques mesures qui pourraient se révéler salutaires si elles ne ressemblaient étrangement à celles déjà appliquées sans résultats significatifs. Comment donc ce qui a échoué hier pourrait-il permettre de redresser une situation qui ne cesse de se détériorer ? L’école n’est après tout que le microcosme d’une société et d’un monde où la violence a trop souvent force de loi, qu’elle soit inspirée par des motifs religieux ou pas. Comment débloquer la situation calamiteuse de l’école française tant que les choix politiques et éducatifs seront dictés par la crainte de « faire le jeu de l’extrême-droite », ou par la conviction que la petite délinquance est le terreau privilégié du terrorisme issu du fanatisme religieux ? On se demande alors pourquoi les élèves musulmans, qui ne sont pas tous des délinquants, adhèrent si spontanément à l’idéologie islamiste qui prospère partout où les démocraties occidentales se prennent les pieds dans leurs contradictions. Peut-on à la fois vanter les vertus du multiculturalisme et rejeter la « culture » prônée par l’islamisme radical ?
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Ce que préconise l’auteur reste à cet égard de l’ordre de la surenchère éducative, « axe stratégique du combat contre l’islamisme » : soyons davantage encore républicains, davantage encore laïcs, afin de convaincre ces jeunes fanatisés des « valeurs » qui, étant les nôtres, sont aussi sans qu’ils le sachent les leurs en raison de leur universalité. Or, c’est exactement ce dont les islamistes ne veulent pas : une universalité fondée sur des « valeurs » qui sont à leurs yeux celles de l’Occident, mécréant et dépravé. La mixité sociale ? Ce sont leurs comportements asociaux et leurs revendications qui l’ont faite reculer là où elle existait auparavant. Former les enseignants à la laïcité ? Bien évidemment, mais à condition qu’enseigner la laïcité ne devienne pas leur tâche principale au détriment de la culture qu’ils avaient jusqu’alors pour mission de transmettre, et qui est trop rarement évoquée dans cette enquête même si l’auteur se dit sensible au fait religieux : « Comment être enseignant en ignorant cette part immense de l’histoire de l’humanité que sont les religions ? ». Or, c’est la culture qui enseigne à voir dans le fait religieux une composante anthropologique majeure, et qui montre dans le même temps à ceux qui le souhaitent comment s’en dégager. Soutenir l’Islam des Lumières contre l’obscurantisme ? Sans aucun doute, mais seulement si ce dualisme quasi métaphysique opposant Bien et Mal ne réactive pas un type de combat qui interdirait de poursuivre le dialogue critique avec les Lumières engagé en Europe. C’est aussi pourquoi la « reconquête » passe probablement d’abord par celle de l’héritage culturel délaissé par ceux-là mêmes qui étaient censés le préserver. Il y faudra en effet une bonne dose de courage, et un surplus de lucidité.
Jean-Pierre Obin, Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école, Paris, Hermann, 2020, 163 pages.
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