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Jean-Pierre Montal, moraliste de l’open-space


Jean-Pierre Montal, moraliste de l’open-space
L'écrivain Jean-Pierre Montal. Photo: François Griveler.

Un recueil de nouvelles sur les relations humaines en milieu hostile


Il y a un son Montal. Percutant et intimiste. Ne lui parlez surtout pas de « petite musique », le dandy de la rue Fromentin a horreur des affèteries. Il n’a pas vocation à cajoler, le soir venu, nos névroses. De Françoise Sagan, il a surtout retenu les formules-éclairs et le toucher du cachemire sur la peau nue. L’accident en Aston-Martin est une fin en soi tout à fait respectable à l’heure des collisions en trottinettes électriques sur le pavé parisien. Tous les auteurs ne cultivent donc pas la fibre démagogique à tendance progressiste et n’ont pas le goût du sacrifice médiatique.

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Montal, par hauteur d’esprit et par sens du tragique, se refuse à employer les méthodes chouinantes de ses confrères. L’apitoiement, la génuflexion et la veulerie ont déjà assez fait de dégâts en cette rentrée littéraire. C’est à se demander si un écrivain peut aujourd’hui user d’ironie sentimentale sans finir au Tribunal Correctionnel. Montal rejette en bloc notre société fétide sans adhérer, pour autant, à la France insoumise ou porter un gilet jaune sur les ronds-points, le samedi matin. D’abord le jaune lui va très mal au teint et il préfère enfiler un costume en flanelle sur une cravate en tricotine légèrement dénouée, son seul signe de rébellion apparent et aussi d’allégeance aux Académies. Ne vous fiez pas aux garçons de bonne famille, ils ont l’insurrection en héritage.

Montal s’essaie au format court

Montal fracasse le système avec ses armes, un style faussement désabusé et le goût pour l’inconfort intellectuel. La brutalité de sa prose, jouissive et charmeuse, devra être un jour enseignée à nos dirigeants politiques. Son art de la litote est délicieux. Il est, sans aucun doute, le nouvel alpagueur des lettres, tour à tour, Belmondo et Cremer. A l’approche de la cinquantaine, cet exégète classieux de Maurice Ronet (Les Vies du Feu follet en 2013) tente toujours et encore de retenir les nuits trop courtes. Il ne s’intéresse qu’aux existences molles. On ne guérit jamais d’un passé fantasmé. Sa jeunesse stéphanoise lui sert de tuteur, jamais d’alibi. Son ton est celui du dépit et des amours à vif, ses plaies profondes semblent inguérissables. Il y a du Jep Gambardella en lui, un hussard flamboyant écorché au pays des crassiers. Dans une recherche esthétique qui l’honore, Montal se refuse à déverser son trop-plein d’émotions. Il a trop de talent pour ça et il déteste jouer les victimes expiatoires. Cette exigence littéraire (le fond, la forme et l’élan) nous change des habituels surdiplômés du roman qui écrivent par vengeance ou par soumission.

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Montal est désespérément libre. Écrivain, éditeur et même chanteur des heures bleues, il a trouvé son rythme depuis maintenant deux romans (Les Années Foch et Les Leçons du vertige). Il se débat dans une nostalgie poisseuse où la réussite n’est qu’un leurre et l’échec, un accomplissement fort honorable. Avec lui, l’irréparable est inscrit dans les gènes. Les relations humaines sont vouées non pas à la catastrophe mais à l’incompréhension. Cet automne, Montal change de braquet. Il s’essaye au format court, dans Nous autres, un recueil de nouvelles aux éditions Pierre-Guillaume de Roux. Dès le premier texte (La fin du monde tombe un 1er mai), on sait le pari réussi. Montal est de retour, toujours aussi mordant et affûté. Ses personnages sont traversés par un halo de vérité. L’inhumanité glaciale des tours vitrées tient lieu de décor. La chute est inévitable ; la faiblesse inhérente à toute activité managériale.

Houellebecq qui se mettrait au langage corporate

A aucun moment, Montal n’instrumentalise le lecteur. Il n’écrit pas des tracts politiques. C’est en cela qu’il se révèle un redoutable moraliste. Dans cette galerie de portraits, le monde de Montal se met en marche. On retrouve toutes les influences de sa veine créatrice : la musique rock, la vénération du vinyle, la drôlerie désenchantée, la communication d’entreprise comme cache-sexe de la mondialisation et, puis toujours, en sourdine, la solitude des êtres dépassés par les événements. Montal, c’est un nouveau Houellebecq qui connaît la rudesse du « flexoffice » et le langage corporate mortifère, toutes ces meurtrissures du quotidien qui finissent par épuiser, par peser. « Quand tu y penses, le capitalisme, c’est sacrément bien foutu : les clients nous en mettent plein la gueule mais nous sommes tous en position de client un jour ou l’autre et nous pouvons alors, à notre tour, charger un pauvre type qui, lui-même, pourra défoncer un autre gars en exigeant « un geste commercial ». Et ainsi la roue tourne encore, encore, encore » fait-il dire, à l’un de ses personnages. Montal répond en tout point à la définition de Léon-Paul Fargue dans Le piéton de Paris : « L’écrivain ne m’excite pas que s’il me décèle un principe physique, que s’il me laisse voir qu’il pourrait travailler de ses mains, peintre, sculpteur, artisan, que s’il me montre le sentiment du « concret individuel ».

Nous autres de Jean-Pierre Montal – éditions Pierre-Guillaume de Roux – 13 novembre 2019

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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