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Jean-Pierre Marielle, le bonheur au coin de la rue

L’ami de la famille (8/8)


Jean-Pierre Marielle, le bonheur au coin de la rue
Jean-Pierre Marielle. Auteurs : L2nis/MPP/SIPA. Numéro de reportage : 00905031_000005

Thomas Morales consacre une série d’été à l’immense Jean-Pierre Marielle (1932-2019), récemment disparu (8/8).


Marielle était l’acteur du doute et du remariage, y-aurait-il une vie après cette verdeur furibonde ? Il s’accrochait pourtant à mesure qu’il vieillissait. Il restait dans la course. C’était à la fois foireux et d’une banalité somptueuse. Le quadra des années 70 était lui aussi à la lisière de son destin, à la bascule des temps. « Quand le vin est tiré, il faut le boire », c’est ce que nous enseignait le Marquis de Pontcallec en ce dimanche des Rameaux de 1719. Marielle tente de retenir maladroitement cette jeunesse qui s’échappe, qui se fait la malle. Encore un peu de plaisir, Monseigneur, implore-t-il, encore un peu de mignonnerie et de langueurs. L’homme des années 70 n’était pas rassasié de cet éden mirifique, il voulait encore des victuailles et des cons ruisselants.

Austérité connaît pas

C’était un indécrottable plaisantin et libertin, l’austérité était un mot qu’il ignorait, un mot de politiciens et de dialecticiens. Une éraflure sur une carrosserie étincelante. Son appétit ne connaissait pas de limite. Il voulait jouir, encore une minute Monsieur le bourreau, s’il vous plaît. Marielle était cet intrépide détrousseur de dot et dépuceleur émérite, qui est convaincu que les temps funestes voileront bientôt l’horizon, alors jouissons, trinquons et égarons-nous dans la moiteur d’une touffe indisciplinée. Le stupre avait trouvé son bonimenteur extatique. Marielle nous était proche et cependant inqualifiable. Il n’avait pas la raideur d’un Rochefort, la bure d’un Lonsdale, la martialité militaire d’un Cremer, son image populaire sans promiscuité honteuse, intriguait sans repousser. On était attiré par son statut et personne n’aurait souhaité rompre cette barrière entre l’artiste et le public.

Familier, pas hautain pour un écu, avec néanmoins cette distance qui s’imposait naturellement, nous n’avions pas envie de briser cette confiance. Il était l’ami de la famille, l’oncle breton qui fait valser les contingences matérielles, qui se moque du quand dira-t-on et qui laisse une trainée incohérente et indispensable à notre survie. Il semait de l’intelligence enjouée. Cet inadapté colérique comblait nos manques. Il était la lumière dans la nuit quand l’aigreur commence à prendre racine, quand la rancœur travestit l’humour, quand la vie s’effrite tout simplement.

Les monstres sacrés du Conservatoire

Cette amitié inventée avec lui, calmait nos irritations, nos blessures, il était le baume sur les malheurs du monde. Il les atténuait en surface et nous amenait à réfléchir autrement, à envisager les événements d’une façon désaxée. Il n’était pas dans les couloirs de la moralité. Il cabotait à la marge, dans les interstices, dans les méandres. Si nous nous sentions si proches de lui, c’était aussi par son sens de la camaraderie. Chevaliers du Palais-Royal, tous les copains du Conservatoire formaient une famille d’adoption, celle qui vous poursuit jusqu’au linceul. L’amitié était sacrée chez lui, nous étions jaloux de leurs pudeurs respectives. Tous ces monstres aujourd’hui sanctifiés, ces acteurs tutélaires, avaient été des étudiants inconscients, inconsistants, fauchés, juste animés par le désir farouche de monter sur scène, d’embraser ce métier si difficile et ingrat. La Nouvelle vague se permit même le luxe suprême et décadent de se passer de ses services. Le croyez-vous ? C’était, selon lui, une histoire de rencontres, des comédiens plus roublards ou inspirés que d’autres arrivent à saisir les coupe-files, à court-circuiter les lenteurs d’une profession hasardeuse. Dans les années 60, il avait été magistralement ignoré par des binoclards inquisiteurs, qui auraient dû essuyer leurs verres correcteurs. Comment purent-ils ignorer cet acteur plus que prometteur, diabolique et magnétique ?

Entre le nanar et la comédie à grosses claques

Par la suite, il se rattrapa avec le souci de toujours gagner sa vie convenablement. Les artistes qui ont le sens du garde-manger nous sont plus accessibles ; moins hermétiques. Eux aussi, doivent payer leur loyer et leur facture d’électricité, nous sommes moins seuls à la fin du mois. Alors Marielle a navigué entre le nanar et la comédie à grosses claques, il s’est frayé un chemin chaotique, ne refusant aucun rôle. Aujourd’hui, la plus infâme de ses potacheries est surévaluée par sa présence homérique. Il vous transcende un navet en un spectacle d’art et essai, en une pyrotechnie mirobolante. Oui, on aura tout vu ! Il croisait en échappement libre sur le cinéma français depuis soixante ans. Qu’allons-nous devenir ? Par sa subtilité et sa fougue, il réussissait à enluminer l’insipidité, à repousser les infamies. Parce qu’il était inclassable et inaltérable, on le suivait n’importe où, à la pointe du Finistère ou dans le Marais Poitevin, à Honfleur ou en Afrique-Occidentale-Française.

Il vampirisait la connerie

Nous ne prenions rien au sérieux et ses interprétations nous traçaient la voie caillouteuse de la rédemption. Dans ma province alanguie, parfois agaçante et cadenassée, il était la clé de toutes mes agonies. Je savais qu’à chaque fois que je sentirais mes forces s’amenuiser, mon entrain s’embourber dans la mélasse du monde connecté, Marielle, mon sauveur, serait là. Il vampirisait la connerie, il annihilait les douleurs intimes, par une pirouette, il ferait miroiter une bêtise, désacraliserait les puissants, nous distillerait un peu d’espoir. Et ça, quand on vient de franchir le seuil de la quarantaine, c’est un bien inestimable.

Aujourd’hui, j’entends son timbre sonner, sa munificence s’étaler sur mon lecteur de DVD et je suis un homme heureux.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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