Jean-Pierre Chevènement n’est plus de gauche. C’est du moins ce qu’ont dû penser nombre de Jeunes Socialistes en l’écoutant descendre en flèche le projet de loi instaurant le mariage et les enfants pour tous. Petite parenthèse, pour le MJS et une partie des élus socialistes, le label « degauche » n’est octroyé qu’à une poignée d’avant-gardistes qui prennent position dans le bon sens sur des questions aussi cruciales que la dépénalisation du cannabis, la régularisation des sans-papiers ou la « moralisation de la vie politique ». Autant dire qu’un vieux briscard du Programme commun, fondateur du Parti Socialiste à Epinay, n’est pas en odeur de sainteté lorsqu’il se prononce contre « une avancée majeure pour l’égalité » des gays et lesbiens. Après avoir fait perdre Jospin en 2002 et un temps remisé sa tunique de gauche au vestiaire du Pôle Républicain – je vous parle d’un temps que les moins de vingt-cinq ans ne peuvent pas connaître… – le Lion de Belfort s’en prend aujourd’hui à l’unique réforme d’importance portée par le gouvernement. Du Sénat, où il siège, le sage nous dit que les notions de père et de mère sont « des repères fondamentaux qu’il faut maintenir face à la déferlante de l’hyper-individualisme libéral ». Le contempteur de l’Europe de Maastricht a-t-il cédé à une panique morale, tel le premier beauf islamophobe venu ? Passé ses vacances avec Aldo Naouri ? Ou bien relu ses classiques marxistes, un peu empoussiérés depuis l’enterrement du CERES ? Toujours est-il que l’argument porte, notamment chez les lecteurs de Christopher Lasch, qui ne boudent pas leur plaisir en entendant Chevènement expliquer : « Avec ce projet de loi, nous brouillons complètement le droit de la filiation. Des couples homosexuels peuvent adopter ensemble des enfants, et demain avec la gestation pour autrui (GPA) ou la procréation médicalement assistée (PMA) GPA et PMA ne sont pas dans le texte, mais vous savez très bien que c’est une hypocrisie et qu’en réalité tout cela va ensemble, petit à petit, quels que soient les hommes politiques. » Celle-là, il fallait la citer in extenso ! Je traduis : la GPA passera en 2017, que la majorité soit PS ou UMP, puisque le bon sens passe désormais sous la guise d’une évolution des mœurs qui dicte sa loi au législateur. Comme Naouri, JPC s’inquiète d’une expérimentation sur le vivant, « un pari anthropologique, que pour ma part, je me refuse à faire parce que je pense qu’un enfant a le droit à avoir un père et une mère, ou au moins, l’idée d’un père et l’idée d’une mère ». Si ce propos n’est pas révolutionnaire, c’est que Frigide Barjot défile habillée en nonne sur des chants grégoriens. Quitte à peiner les meilleures âmes degauche qui crient comme des orfraies pavloviennes dès qu’on bouscule leurs certitudes, Chevènement n’est pas sur la ligne Boutin. À l’instar de notre chère Frigide, il soutient le PACS et avait même livré ce combat pour l’égalité des droits fiscaux aux côtés de son ancien camarade Jean-Pierre Michel, aujourd’hui reconverti dans la chasse aux homophobes imaginaires.
Avec tout cela, vous me direz que le fringant Jipé joindra sa voix à celles de l’opposition, dont les plus brillants tribuns opposés au projet de loi sont étrangement libéraux en économie, à commencer par le sympathique Hervé Mariton, lequel déplore les conséquences sociétales de causes philosophiques qu’il chérit. Eh bien non, je vous le donne en mille : après avoir déployé une argumentation si convaincante, au nez et à la barbe de ses alliés socialistes, le Che dit envisager de s’abstenir. Il n’exclut pas de mettre ses convictions en veilleuse pour favoriser la paix des ménages entre son parti, le MRC et le tout-puissant PS. Peut-être craint-il aussi les mauvais jugements de son ex-fidèle Jean-Pierre Michel, qui sort son revolver dès qu’il entend le mot débat et ne manquera pas de vampiriser les discussions au Sénat.
Mais n’écartons pas l’hypothèse d’un vote négatif. Après avoir dit niet au traité européen Merkozy réécrit, Chevènement a encore une petite pichenette à asséner dans la bataille contre le mariage et les enfants à tous les étages. Il est vrai que la manif pour tous manque cruellement de figures de gauche, ce qui n’aide pas Silviane Agacinski, Bernard Poignant et quelques élus socialistes antillais à faire entendre leur petite musique dissonante. Et les cortèges de Frigide Barjot, s’ils ne ressemblent en rien à la poignée d’excités qui font le délice des reportages télévisés, traduisent avant tout la fronde d’une France traditionnelle, majoritairement conservatrice et catholique. Trois épithètes qui donneraient des boutons à n’importe quel permanent de Solférino. Rien que pour ça, Monsieur le sénateur, devenez enfin l’homme qui a dit non !
*Photo : chevenement.
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