Les idéologies victimaires, comme ce néoféminisme contemporain qui anathématise l’homme blanc, relèvent d’une mécanique passionnelle. Une idéologie, c’est au fond bête comme chou. Observations sur le ressort métaphysique de la victimisation.
Pourquoi est-il si difficile de s’opposer aux récriminations victimaires qui surgissent un peu partout? Et qu’est-ce qui fait la force de celui/celle qui proclame paradoxalement en être dépourvu? Pour cela, il faut comprendre qu’en deçà de cette posture, devenue politique, se cache un ressort qui est métaphysique, donc non identifiable dans un monde déchristianisé qui a perdu ses références religieuses. Car, quoi qu’on en dise, dans ce monde, Dieu n’a pas disparu, il s’est seulement dégradé en idole. Dans ce processus, la victime est devenue le nouveau Christ en croix, d’autant plus prégnant qu’il ne se nomme pas.
Une mécanique passionnelle
Une façon de ne pas tomber dans le panneau consiste à mettre à nu la mécanique qui meut le tourbillonnant ballet victimaire actuel. Or, si le ressort est métaphysique, la mécanique, elle, est passionnelle dans le sens le plus classique. Mélange grisant, exaltant, donc pernicieux et dangereux à proportion.
Dans son premier Propos sur le bonheur, Alain évoque l’anecdote de Bucéphale qui, le dos tourné au soleil, voyait son ombre s’agiter devant lui à mesure qu’il se cabrait. Personne ne pouvait maîtriser ce cercle infernal. C’est le jeune Alexandre qui a compris qu’il fallait simplement tourner le cheval face au soleil pour que la bête se calme. Le philosophe indiquait de la sorte qu’on ne dialogue pas avec une passion ou une douleur. On change de niveau. Ainsi, le bébé qui crie et ne veut pas être consolé a souvent une épingle de nourrice coincée qui lui pique les fesses. Il faut donc trouver l’épingle pour le calmer et non le cajoler ou lui crier après.
C’est la même chose pour les idéologies victimaires qui, tels des champignons après la pluie, fleurissent ici et là. Si elles sont apparues dans un contexte qui les justifiait (injustices, discriminations, pauvreté et autres calamités), elles ont progressivement pris leur envol, s’affranchissant peu à peu du terreau qui les avait vues naître. Elles ont ainsi fini par secréter leur propre langage en se nourrissant de leur propre indignation, comme un bébé crie de crier et pleure de pleurer. Pour ces idéologies, tout leur est épingle et aucun Bepanthen® ne peut calmer leur urticaire.
Il est donc souvent inutile de répondre au niveau des récriminations de crainte que l’idéologue, voyant dans cette tentative un reflet et une confirmation de son combat, ne s’enflamme davantage.
Qui plus est, une mécanique est une forme de fatalité qui n’opère aucun retour sur soi. Au contraire, elle cherche à persévérer dans son être, selon la loi du conatus dont parle Spinoza. Elle cherche à s’accroître par tous les moyens dont elle dispose. Comme une plante grasse, elle tend à phagocyter toute vie qui l’entoure et à capter tout la force solaire au-dessus d’elle. La mécanique idéologique ne connaît d’autre limite que la contrainte ou l’effondrement après une course effrénée à l’obésité. Une idéologie, c’est au fond bête comme chou.
Communisme et féminisme essentialiste
Dans le cas des idéologies victimaires devenues folles, l’inspiration initiale est de nature religieuse, dans le pire sens du terme. On a souvent commenté le communisme qui régurgitait des réalités chrétiennes en les privant de leur transcendance. Ainsi, le contrôle des moyens de production figuraient le péché originel, le prolétariat aliéné était le Christ en croix, le diable le bourgeois, la lutte des classes, le combat entre Dieu et le Dragon, la société sans classes, le paradis sur terre.
On a en revanche moins évoqué le féminisme essentialiste (et non le féminisme ou encore moins les femmes) qui opère selon les mêmes schèmes. Ici, le patriarcat et son thuriféraire masculin blanc hétérosexuel de foi ou de culture chrétienne incarnent le péché originel et le diable, le Crucifié est l’être-femme aliéné, l’égalité entre les sexes devient la Jérusalem céleste. Une cité pas si céleste que ça, au demeurant, dans la mesure où le combat se mène ici-bas et non en vue d’un au-delà. Détail supplémentaire essentiel, la Vierge Marie, immaculée, donc sans péché, incapable de faire le mal, qui est le fantasme inavoué du féminisme essentialiste. Marie est vierge, quasi muette dans les Évangiles et l’on ne sait trop ce qu’elle fabrique dans la dramaturgie évangélique. Mais elle est mère de Dieu. En somme, Marie n’a rien et elle est tout. Passez la Sainte Vierge à la moulinette idéologique et vous avez dans les mains un yo-yo détraqué, une Marie qui rebondit entre le tout et le rien au quart de tour, entre un désir infini et une dépossession totale.
Car, en somme, Marie veut jouir tout en restant vierge. Elle veut le pouvoir et l’exercera forcément à bon escient. Si elle se fâche, c’est qu’elle a été outragée. Ses rages sont à la mesure de sa pureté. Dans ce cas, comment oser discuter avec ce qui est pur, comment s’y opposer, puisqu’on est d’office impur, anathématisé et menacé de Géhenne?
Le fardeau de l’homme blanc
Au-delà de ces deux doctrines, on devine les juteuses récupérations idéologiques ultérieures qui ont pour point focal commun l’homme blanc hétérosexuel, de foi ou de culture chrétienne, seule catégorie exclue du système victimaire. Le Fardeau de l’homme blanc, poème écrit par Rudyard Kipling en 1899, s’est renversé pour devenir… le fardeau de l’homme blanc, alors que la première marque de supériorité s’est métamorphosée en bonnet d’âne et en signe d’ineptie. Mais, point essentiel, cet homme blanc demeure le pivot de l’histoire. Résultat : le patriarcat est plus caricaturé que jamais et, comme le dit Rémi Brague dans la préface de mon livre, il n’y a « rien (…) de plus eurocentriste que la critique d’un prétendu ”eurocentrisme” ».
Il n’empêche, les dérives victimaires qui nous sont imposées avec une inventivité éblouissante sont désarmantes car on a perdu le vocabulaire religieux d’antan au profit d’un arsenal conceptuel moderne centré sur le seul être humain. Pensant avoir délaissé la dimension transcendante, on l’a simplement réintroduite subrepticement et dénaturée dans l’immanence : sa force de frappe n’en est que plus efficace. Résultat : nous ne voyons pas que les conflits victimaires actuels sont de nature religieuse et n’en sont que plus mobilisateurs. Demandez à n’importe qui s’il préfère se battre pour ce qu’il imagine être son dieu ou pour les ternes compromis démocratiques et vous aurez la réponse.
Toutes ces idoles insatiables ont une épingle aux fesses.
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