Un jeune homme nommé Jean-Paul


Un jeune homme nommé Jean-Paul

jean paul gaultier cardin

Jean-Paul Gaultier au Grand Palais ? Après Niki de Saint Phalle, en même temps que Vélasquez ! Lui, le funambule de la couture qui n’a jamais pris la mode pour un art et qui, dès ses premiers défilés, l’a désacralisée, désembourgeoisée, en imposant le style punk dans un éclat de rire iconoclaste et talentueux ! Lui, qui n’a jamais renié ses origines, et a su, a voulu, rester populaire !

Né à Bagneux, le gamin d’Arcueil jouait à habiller son ours en peluche dans le salon de coiffure de sa mémé, pendant qu’elle frisottait ses clientes. Il a fait son chemin, depuis ce jour des années 1970, où, arrivé de Londres, il débarqua chez moi, son carton à dessins sous le bras, pour me soumettre ses premières créations, des bijoux, dont d’étonnants bracelets découpés en rondelles, placés dans des boîtes de conserve : « Est-ce que j’ai une chance à Paris ? »[access capability= »lire_inedits »]

Il avait vingt ans et quelques et déjà ce rire en cascade, qu’il accompagnait de grands gestes, ces yeux de gamin ébloui. Il était venu chercher l’assurance qu’il ne faisait pas fausse route en se lançant dans la création. Pas un penny en poche mais une ambition à vous ouvrir toutes les portes.

Bide et boum !

Il faut croire que je ne fus pas la seule à l’encourager. Après un passage chez Pierre Cardin, où il ramassait les épingles sans perdre une miette du spectacle, et deux arrêts « couture » chez Jacques Esterel et Jean Patou (il y assistait Michel Goma), il me fit parvenir une invitation, en 1976. J’étais conviée au planétarium du Palais de la découverte à sa première collection, réalisée, il l’avouera plus tard, avec des tissus de quatre sous achetés au marché Saint-Pierre. Ce jour-là, déconvenue totale, le bide ! Salle vide, 15 personnes en tout (ses copains, sa famille) au lieu des 200 journalistes espérés. À la même heure, un ténor incontournable, Issey Miyake ou Castelbajac peut-être, attendait la presse à l’autre bout de Paris : pour les journalistes, il n’y avait alors pas à hésiter.

Deux ans plus tard, salle Wagram, Jean-Paul faisait salle comble, et nous laissait bouche bée devant son podium, où défilaient des corsets de grand-mère – satin rose, baleinage et laçages 1900 – mutés en robes sexy, avec des seins surpiqués en obus : du Feydeau à sa façon. Mais pour qui, pour où ? Pour Madonna, diva de tous les fantasmes, dont il devait créer plus tard les costumes de scène avec un sens hollywoodien qui s’explique : Cinémonde a été son premier livre d’images…

Anti-mannequins

La presse le baptisera sans grande imagination « l’Enfant terrible de la mode ». À 62 ans, il l’est encore. Ses coups d’éclat lui ont valu d’être considéré, avec Thierry Mugler et Claude Montana, comme l’un des trois mousquetaires de la création, invités, à partir des années 1980, à défiler sur les mêmes podiums que ceux des grands couturiers.

De ce jour, on commença à s’amuser aux collections. JPG, c’était Galliano avant John : une pochette-surprise permanente, un érotisme bon enfant, un brassage d’inspirations punk ! Séduire est facile, durer est une autre histoire. Or, cela fait quarante ans que ses coups de canif dans l’élégance discrète de la bourgeoisie, ses équipées sauvages, son humour dévastateur, et sa technique de plus en plus au point nous fascinent.

Rien ne l’arrêtait : aux mannequins stars – Inès de la Fressange, Carla Bruni, Linda Evangelista, Naomi Campbell, que les couturiers s’arrachaient – il osa substituer sa concierge, son épicière, sa comptable, sa secrétaire, ses copines, ses voisines, grandes, petites, rondelettes, rigolotes : on jubila !

Une fantaisie insolente

Chaque show Gaultier était un happening permanent où l’on accourait, coincée entre Lauren Bacall et Kim Basinger, au coude-à-coude avec Catherine Deneuve, dans les lieux les plus insolites, sur les toits de Paris, dans le garage de la RATP… Chaque défilé était une surprise, du jamais-vu, telle sa fameuse collection masculine où, pour la première fois, il fit défiler des hommes en jupes longues, ou encore dans la galerie Vivienne réquisitionnée pour un soir, la collection Rabbi Jacob, toute en lévites et papillotes, sous les grands chapeaux des hassidim. Sa fantaisie insolente ne connaissait pas de limite : Jean Paul posait une manche sur deux sur un tailleur, brodait de jais les pointes des seins sur des robes de mousseline chair, terminait en tutu de tulle les jambes d’un blue-jean. Tout cela forge son identité, au point qu’il est sollicité par Hermès, au début des années 2000, pour assurer le style faubourg Saint-Honoré : le jour de la conférence de presse qui officialisait le contrat, on vit Jean-Louis Dumas Hermès sortir du cercle Interallié une marinière nouée sur son veston gris ! Le premier show Hermès de Gaultier a lieu dans un manège : pur-sang et concours d’élégance ! La reprise durera dix ans – reprise tous terrains, puisqu’Hermès acquerra la moitié de la société Gaultier, avant de la revendre à Puig.

Après avoir époustouflé 1 500 000 visiteurs à Montréal, Dallas, San Francisco, Madrid, Rotterdam, Stockholm, New York, Londres, Melbourne, l’enfant terrible de la mode Après avoir époustouflé un million cinq cent mille visiteurs à Montréal, Dallas, San Francisco, Madrid, Rotterdam, Stockholm, New York, Londres, Melbourne, l’enfant terrible de la mode est au Grand Palais. Paris offre à son enfant terrible un lieu à sa démesure.[/access]

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Juin 2015 #25

Article extrait du Magazine Causeur



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