Elle fut à Montréal, elle était à Londres, elle sera à Berlin, elle est à Paris. L’exposition Jean-Paul Gaultier est un enchantement. On peut certes penser qu’elle réalise un moment de la société du spectacle, qu’elle est le miroir d’une époque tout entière consacrée à la volupté d’être, qu’elle sanctuarise l’ère du vide et du « genre », mais on n’aura rien dit de la « révélation » qu’elle est pour le visiteur qui trouvera au Grand Palais l’aliment dune durable allégresse.
Peu importe même qu’on se soucie comme d’une guigne de la mode et de Jean-Paul « Ier », la très imaginative muséographie de cette exposition unique enchante par elle-même. Se jouant des volumes et du lieu, elle nous entraîne ici dans un boudoir, là au pied d’un plateau tournant qui reproduit la fantaisie d’un défilé fellinien, le ballet des modèles saisis dans leurs poses furtives : cambrés, extatiques, arrogants, pressés…[access capability= »lire_inedits »] Les visages des mannequins à taille réelle, placés en embuscade, s’animent de diverses physionomies, grâce à un savant procédé audiovisuel qui reproduit aussi la voix humaine. L’effet est fascinant.
Parigot-parisienne
Dans ce temple de la culture tranquille, « dominante », on consacre le dandy à la marinière, qui brouilla les signes et le sexe des vêtements : il imagina des hommes désirables, des mâles larges d’épaules en décolleté plongeant, mais « corseta » les femmes en dominatrices excédées. On célèbre le théoricien amusé de la punkitude chic, qui emprunta à la rue londonienne, vers la fin des années 1970, ses parures d’Indiens suburbains et toute son extravagance anglaise survoltée, son énergie furibonde. Frankenstein bienveillant, il élabora dans son laboratoire à fanfreluches une personnalité moins trouble que double, un personnage mi-parigot mi-parisienne, rock and kitch, en skaï et nylon, en cuir et soie, une créature divisée, en équilibre stable, féminine et virile. On admire les coupes, les détails, en particulier tout ce qui est relatif à la broderie, aux corsets, aux dentelles, aux lanières… On le croyait flibustier, c’était un couturier.
Yvette et Catherine
Jean-Paul Gaultier pensait, à ses débuts, dynamiter le beau, le bon goût, la bienséance, bref, effaroucher le bourgeois : il a surtout épaté la bourgeoisie, qui n’aime rien tant qu’être bousculée. Ses premiers clients furent un peu, aux années 1980, ce que les « incoyables » et les « meveilleuses » (on s’interdisait alors de prononcer le r de révolution) furent au Directoire : un même sens de la représentation de soi outrée, de la dérision théâtrale, un goût semblable des folles parures, des perruques bleues ou vertes. Au temps de Mitterrand, sur un stand de la grande foire aux vanités socialisantes, il aura réconcilié Yvette Horner et Catherine Deneuve.
L’oubli et les métamorphoses
JPG abandonne le prêt-à-porter, pour ne se consacrer désormais qu’à la haute couture. Dans la ronde des apparences qui nous aident à vivre, la mode, sa splendide illusion, et même ses ricanements hypercritiques et ses grimaces, ont toute leur place. Qu’en sera-t-il demain, qu’en est-il aujourd’hui ? Lors de l’inauguration, Gaultier était attentif, charmant sans ostentation, démontrant une vraie simplicité. Il a conservé la fraîcheur du jeune homme qui pleurait à la vision du film Falbalas (Jacques Becker, 1945). Il se réjouit d’être encore là, d’apporter sa pierre à un édifice qui s’effondre et se reconstruit sans cesse, entraîné par le mouvement hélicoïdal du cycle de l’oubli et des métamorphoses.[/access]
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Exposition Jean-Paul Gaultier, Grand Palais, Galeries nationales, jusqu’au 3 août 2015.
*Photo : LaurentVu/SIPA. 00703176_000049.
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