Jean-Patrick Manchette (1942-1995) est considéré comme le père du néo-polar né après 1968. Plusieurs rééditions récentes rappellent la portée profondément politique et sociale de son oeuvre au style ciselé.
En 1982, j’avais à peine 18 ans quand j’ai rencontré un grand écrivain, Jean-Patrick Manchette. Je ne l’ai pas rencontré physiquement, mais il a été de ces rencontres qui annoncent des compagnonnages de toute une vie. Je me souviens très bien du jour où j’ai acheté La Position du tireur couché, qui serait le dernier roman publié de Manchette, né en 1942 et mort d’un cancer en 1995. C’était le numéro 1856 de la « Série noire ». Manchette était encore un auteur de gare, comme on disait, publié dans une collection qui avait sa réputation, mais qui somme toute n’était qu’une collection de littérature populaire. Je n’ai pas l’habitude de mépriser mes plaisirs, mais tout de même, ce n’était pas là que je m’attendais à trouver une révélation de ce genre.
Un grand de la seconde moitié du XXème siècle
Bien sûr, le personnage de Martin Terrier, contractuel du crime dans la France de ces années-là était atypique. Il était dépourvu de toute aura romantique et offrait un concentré de compétence et de bêtise, de solitude radicale et de naïveté sentimentale. Mais la nature de l’enchantement était ailleurs et tenait en un mot : le style. L’écriture de Manchette ne ressemble à rien de connu. Elle est d’une concision froide et entretient une distance constante avec son lecteur. La phrase a une cadence flaubertienne tout en évitant les écueils de la psychologie. On sait des personnages seulement ce qu’on peut déduire de leur comportement, comme ces dernières phrases du roman qui traduisent le désespoir de Terrier, condamné à vivre comme d’autres sont condamnés à mort : « Ces nuits-là, Terrier dort en silence. Dans son sommeil, il vient de prendre la position du tireur couché. »
Depuis cette époque lointaine, près de quarante ans tout de même, Manchette a acquis peu à peu le statut d’un des grands de la seconde moitié du xxe siècle. Moins d’un an après sa mort, on publie Chroniques et Les Yeux de la momie, qui regroupent ses critiques littéraires et cinématographiques publiées dans Charlie (Mensuel et Hebdo). Puis, en 2005, pour les dix ans de sa mort, tous ses romans y compris les
